L'escale de Méditerranée à Villefranche
Correspondance des ports Toulon, 18 février 1896
L'escadre active a quitté le Golfe Juan le lundi 10 pour Villefranche, laissant à Cannes le Vautour à l'occasion de la bataille des fleurs dans cette ville. Le 12, le Vautour ramenant la musique de l'amiral et une délégation d'officiers de l'escadre a rallié le mouillage de Villefranche. Aux fêtes de Cannes, l'escadre était représentée par un char symbolique d'un très bel effet. M. l'enseigne de vaisseau Rigal, aide-de-camp de l'amiral Gervais, faisait partie du Comité d'organisation.
A Villefranche, dimanche, les officiers de l'escadre et les amiraux ont offert à bord du Formidable une matinée dansante à laquelle assistaient toutes les notabilités du département et les officiers des garnisons voisines. Cette fête a été de tous points réussie. Leurs Altesses le prince Albert et la princesse Alice de Monaco honoraient cette belle fête de leur présence.
(Le Yacht, n° 937, 22 février 1896, p. 93) -------
Villefranche, 28 mars 1896
L'escadre active de la Méditerranée occidentale et du Levant vient de faire sur notre rade un assez long séjour. Elle nous a quitté pour rentrer à Toulon. Le yacht Stanita que vient d'acquérir le Grand Duc Georges de Russie, et le croiseur anglais Cambrian s'y trouvaient en même temps, ce dernier à cause de la présence de la Reine d'Angleterre sur notre littoral. L'amiral Gervais a offert sur rade de Villefranche une fête vénitienne superbe, quelque chose de vraiment féerique qui avait attiré sur la côte toute la population des environs. Le Cambrian a pris part en illuminant et en allumant ses projecteurs.
Après le départ de l'escadre active, départ que tout le monde ici a vu avec regret, tant l'amiral et ses officiers avaient su se concilier les sympathies de la population, nous n'avons pas tardé à recevoir une autre visite également bien accueillie ; celle de l'Ecole supérieure de guerre navale comprenant les trois grands croiseurs Charner, Latouche-Tréville et Suchet, sous le commandement du contre-amiral Fournier. Elle a mouillé sur rade le 24 à 4h30 du soir. L'amiral est allé saluer le Prince de Monaco qui lui a rendu sa visite à bord du Charner le 26 dans l'après-midi.
Nous avons vu aussi en relâche par suite de mauvais temps la canonnière-cuirassée Achéron avec les torpilleurs 65 et 190, tous trois venant de Monaco où ils avaient assisté aux régates du 22 au 25 courant, et se rendant à Toulon.
Enfin le 26, dans l'après-midi, une corvette à batterie portant pavillon autrichien mouillait sur rade, venant de Messine, et saluait du canon la marque distinctive du contre-amiral Fournier flottant à bord du Charner. Celui-ci rendait le salut et l'échange des visites réglementaires avait lieu. Ce bâtiment autrichien n'était autre que le Donau, école d'application des Cadets. C'est un bâtiment à hélices, mâté en trois mâts, mis à l'eau à une date assez ancienne, 1874 et, depuis, transformé à ce point, en 1892, qu'on en a fait un bâtiment absolument neuf. Il a pour dimensions : longueur 72 m ; déplacement environ 3000 tonnes. Sa machine de 1800 chevaux lui imprime une vitesse de 12 nœuds.
L'artillerie comprend dix canons de 15 mm Krupp dans la batterie et un sous la teugue, pouvant tirer par deux sabords l'un à tribord, l'autre à bâbord : c'est une disposition assez fréquente sur les bâtiments autrichiens. Il y a en outre un canon de 7m/m Uchatius et plusieurs mitrailleuses.
Le Donau est remarquable par sa belle tenue, comme tous ceux de la Marine autrichienne. (Le Yacht, n° 943, 4 avril 1896, p. 165)
Villefranche, 6 avril 1896
La présence sur le littoral de nombreux souverains étrangers ou personnages de distinction attire chaque jour dans nos eaux de nouveaux bâtiments de guerre. Je vous signalais dans ma lettre du 28 le Cambrian croiseur anglais et le bâtiment école Donau. Le même jour l'arrivée du croiseur russe Rynda était annoncée et, dans l'après-midi, après avoir passé devant Nice, ce bâtiment qui vient de Gibraltar mouillait dans notre jolie baie. Puis saluts d'usage étaient envoyés et visites échangées avec les bâtiments présents sur rade.
Quelques mots de la Rynda : c'est un des bâtiments qui accompagnaient à Toulon l'Amiral Avellan, lors de la mémorable visite de la flotte russe en 1893. Ce croiseur, commandé par M. le capitaine de premier rang Rimski-Korsakoff et monté par 326 hommes d'équipage est armé de 10 canons en barbette, du calibre 15 mm et d'autant de canons Hotchkiss. Il file 15 nœuds et possède une élégante mâture de trois mâts.
Le 30 mars au matin, il y avait donc sur rade les trois croiseurs de l'amiral Fournier, le Rynda, le Donau et le Cambrian, quand l'impératrice douairière de Russie est arrivée incognito à Villefranche avec sa suite. Vers 11 heures Sa Majesté s'est rendue à bord de la Rynda où l'avait précédée le grand duc Alexis, amiralissime de la flotte russe. Le drapeau impérial a été hissé au grand mât pendant l'heure que l'Impératrice a passé à bord. A son départ à midi pour retourner à bord du yacht de son fils, le Zarnitza, les honneurs ont été rendus par les bâtiments sur rade..
L'Amiral Fournier commandant la division de l'Ecole de guerre navale s'est rendu à bord du yacht pour faire visite à l'Impératrice qui à son tour a visité le mercredi le croiseur-amiral, l'Amiral-Charner.
Dans la journée du lendemain, deux nouveaux bâtiments sont venus s'ajouter à ceux déjà sur rade : d'abord le croiseur anglais Hawke, battant pavillon de l'amiral Culme Seymour commandant en chef de l'escadre anglaise en Méditerranée. Le Hawke vient de Malte pour remplacer le Cambrian et restera dans nos eaux pendant tout le temps du séjour de la reine Victoria à Nice.
Ce croiseur, de construction récente, est fort admiré et mérite une mention spéciale. Il a 110 mètres de long, 18 de large, 7350 tonnes de déplacement et une vitesse de 21 nœuds, dit-on. Comme armement, il a un canon de 23 mm dans l'axe à l'avant et un semblable à l'arrière ; sur les côtés, dix canons de 15 mm à tir rapide ; enfin un peu partout dix-huit canons à tir rapide, des calibres 57 mm et au-dessous. Il n'a pas de cuirasse verticale, mais seulement un pont cuirassé de profil trapézoïdal atteignant jusqu'à 15 cm d'épaisseur aux parties inclinées. Son armement, quoique puissant, n'a rien d'excessif étant donné ses dimensions. Il est inférieur à celui du Tage qui atteint à peu près les mêmes dimensions dans notre marine.
On ne pouvait manquer d'établir la comparaison avec nos croiseurs présents. Le Charner, par exemple, s'il est inférieur par le nombre des bouches à feu, l'emporte de beaucoup sous le rapport de la protection tant de la coque que de l'artillerie ; il aurait toutes les chances de triompher du Hawke si celui-ci consentait à accepter un combat que sa vitesse supérieure le mettrait généralement à même de refuser où d'accepter, à son choix. Telle est l'opinion que j'ai entendue émettre par plusieurs de nos marins les jours derniers.
Vendredi matin à 6h25, le Cambrian a quitté Villefranche et a fait route pour Malte.
J'allais oublier parmi les bâtiments sur rade l'Ecole d'application des aspirants, l'Iphigénie, commandé par le capitaine de vaisseau Caillard et qui est le 2ème bâtiment dont je signalais l'arrivée plus haut. (Le Yacht, n° 944, 11 avril 1896, p. 178)