Lucien Rosengart ou "Le Nom de la Rose"
Par Paul Masnata
J'ai bien connu Monsieur Rosengart, constructeur des voitures du même nom, et propriétaire d'un chantier naval à la darse de Villefranche sur mer. Etant moi-même charpentier de marine, maintenant à la retraite, et fils de charpentier de marine, j'avais 3 ou 4 ans lorsque j'ai fait sa connaissance. Lucien Rosengart, né le 11 janvier 1881 à Paris, décèdera en juillet 1976 à Villefranche-sur-Mer. Soit plus de 30 ans de présence à la Darse .
Un patron à l'ancienne
Lucien Rosengart habitait chemin privé de la Darse à Villefranche-sur-Mer. Sa maison y est toujours visible. La propriété qui dégringolait jusqu'aux voûtes de la darse, comprenait la villa Bagatelle et plus bas dans les restanques une villa plus petite où logeaient les gardiens (la famille Carlès). Cette propriété, acquise juste après la seconde guerre mondiale avait été aménagée par les époux Rosengart. Monsieur de sa terrasse surveillait ainsi son chantier avec une longue vue. « Je ne veux pas que les ouvriers roulent leurs cigarettes pendant les heures de travail, cela fait trop de temps perdu à la fin du mois ».
Lucien Rosengart qui possédait également des usines de construction automobile et de pièces détachées employant 4 000 ouvriers, était habitué au travail à la chaîne. Sa hantise était la perte de temps de travail. Associé avant la guerre à André Citroën, il gardait de cette collaboration une certaine amertume et affirmait avoir inventé la "traction avant" avant André Citroën qui prétendait le contraire...
Une activité internationale
Dans les années 1945 et 1946, il restaure les bâtiments qui se trouvent après le bassin de radoub, partiellement détruits par les Allemands. De ces années date la création du Centre Industriel et Naval (C.I.N.), chantier qui employait une soixantaine de personnes. Les 2 premiers charpentiers de marine furent Joseph Masnata, mon père, et Mario Casagrande. Leurs héritiers sont toujours en activité à la darse. Chantiers Masnata et Pasqui. Le chantier construira pendant une dizaine d'années des baleinières et des bateaux de plaisance.
Une fois terminées la plupart de ces embarcations étaient transportées sur une remorque jusqu'à la gare SNCF de Villefranche et embarquées dans des wagons ouverts pour être expédiées à leur propriétaires souvent célèbres à l'époque.
Je me souviens de l'une d'elles : un voilier de huit mètres cinquante, coque acajou vernie, appartenant au grand ténor José Lucioni. Quant au projet des baleinières, destinées à l'Afrique, il trouve son origine dans la rencontre d' un ingénieur des travaux publics, Pierre Louis Carlotti, chargé de la politique de desserte marine et fluviale au ministère de France et d'Outre Mer. Pierre-Louis Carlotti rendait visite à ses parents et à sa belle mère, résidant à Villefranche. Ceci le conduisit tout naturellement à avoir des contacts avec les chantiers Rosengart et Voisin, dans les années 40 et début 50. La technique navale l'intéressait et sa créativité s'exerçait sur des voiliers de compétition et se manifestait par le dépôt de brevets sur des formes de carènes pour des navires à moteur. C'est lui qui confia la réalisation du projet aux chantiers de Villefranche.
Un inventeur toujours en mouvement !
Lucien Rosengart était très actif et inventait toujours quelque chose. Son épouse, Gabrielle, née Montjoroy disait : « il est toujours en mouvement ». Après la construction navale, il se mit à la construction des baby foot. Pas ceux que l'on connaît actuellement, ceux-la étaient recouverts d'une grande vitre, les joueurs étaient indépendants et manœuvrés par des petites poignées boutons extérieurs qui les faisaient pivoter et shooter. Il ne restait plus à l'époque qu'une douzaine d'ouvriers. Ensuite il s'est lancé dans la fabrication de tapis, vases et toutes sortes de bibelots en caoutchouc. Il faisait des essais afin d'économiser les produits et souvent à la sortie du four il fallait tout jeter. Colette Dory habituée de la darse peignait souvent les prototypes.
Quelques anecdotes : bateaux, voitures et autres babioles
Dans les années 54 /56 Lucien Rosengart et son épouse allaient dîner à l'Hôtel de Paris à Monte Carlo. Louis Anselmo, chauffeur de taxi chez Vespérini, venait les chercher avec une Desoto 6 cylindres en ligne, 30 litres aux cent, qui ne servait qu'aux époux. Lucien R. était très ponctuel, il fallait le prendre à l'heure exacte qu'il avait fixée, quelques minutes de retard et il renvoyait le taxi. M. Rosengart était capable de générosité, il avait offert à mon père, qui avait perdu sa moto lors de l'incendie de l'atelier, une voiture Rosengart (peut-être une L 44). Je me souviens aussi de sa super traction dans son garage. Après sa mort, elle sera mise en vente au garage Martinez à l'entrée de Villefranche.
Lucien Rosengart était propriétaire d'un fifty de 16 à 17 mètres, « le Papouf », acquis avant son arrivée à Villefranche. Mon père, en dehors de son travail de charpentier, le pilotait afin de sortir la famille et les amis. J'allais souvent avec eux et au large, j'avais le privilège de tenir la barre à roue. Lucien Rosengart comptait parmi ses amis le Préfet des Alpes Maritimes, M. Moatti, à qui il avait offert un canot de six mètres, « le Papouf II ». Tous les étés on convoyait ce bateau à Porquerolles.
Une liste contre l'oubli
J'ai encore en mémoire les noms de quelques employés (cadres, ouvriers et secrétaires) notamment le Colonel Bastet, directeur, qui sera par la suite Maire de Villefranche (de 1971 à 1977), monsieur Bonfiglio, sous-directeur, monsieur Boudet, comptable ...
Dans l'équipe des charpentiers : outre J. Masnata et M. Casagrande, il y avait Henri Giordan, M. Baratini, M. Beppe du Cros de Cagnes...et parmi les plus jeunes Georges et Marcel Nasari, Roger Zabelli, André Carlès... A la mécanique : Honoré Zunino, Paul Otto-Gallin, M. Bodino...et le tourneur Robert Dibenedetto... A la chaudronnerie : M. Peletera et « Kiki » Favole (qui avaient tous deux construit l'avant-dernier bateau-porte pour le chantier Voisin), « Zézé » Santi et M. Giraud, tourneur et Di Benedetto. A l'intallation des machines : M. Rinaldi. Au magasin : Joannès Buissonet. A l'entretien : Etore Michelotti, que l'on surnommait « tonton », il était gardien d'une villa à Passable et venait travailler tous les jours en pointu, je me souviens de ses énormes moustaches blanches. A la peinture : Monsieur Chiabeau. Cette liste du personnel est incomplète, toutes les informations seront les bienvenues.