Entretien avec Joseph Masnata en 2006. Originaire de Sardaigne, il nous raconte ses voyages et son parcours jusqu'à Villefranche où il crée son chantier naval. Aujourd'hui ce sont ses enfants et ses petits-enfants qui perpétuent la tradition.

 

Né sur une île


Monsieur Masnata Joseph, âgé alors de 92 ans, fondateur du chantier naval du même nom, nous raconte comment il a connu le port de la Darse et s'est établi à Villefranche.

" Je suis né sur l'île de de San Pietro, au sud-ouest de la Sardaigne. C'était une colonie génoise, on y parlait génois. J'ai toujours eu envie de travailler sur la mer. J'ai commencé la navigation à 12/13 ans avec mon père. C'était un patron maritime, il fallait marcher droit avec lui! J'avais une soeur et un frère agrégé de philo et de français, professeur à l'école navale. Là bas tout le monde vivait de la mer.


De Carloforte à Villefranche
 
Je suis venu à Villefranche avec 40 tonnes de langoustes. C'était dans les années 1932/1933. On venait de la Sardaigne, du sud ouest de l'île. Notre port d'attache, c'était Carloforte à l'île San Pietro. On faisait aussi la pêche au thon.

Le bateau s'appelait la Yolanda, il faisait 26 mètres de long sans le bout dehors. C'était une goélette de 120 tonnes. On partait à 2 ou 3 goélettes. La nuit on ne se voyait plus car les feux consommaient du pétrole. On naviguait à la polaire (étoile indiquant le nord en navigation). Pour venir, parfois on mettait une semaine, 20 jours, 40 jours. Cela dépendait des vents. On venait par le golfe de Gênes, la nuit avec les vents de terre. Il n'y avait pas de météo et pour connaître les vents on jetait de la cendre sur l'eau. On venait pour vendre des langoustes à un mareyeur qui s'appelait Véran. Quand on ne venait pas ici, on allait les vendre à Marseille ou même à Barcelone. On arrivait, on restait 20, 25, 30 jours. On débarquait chaque jour la quantité de langoustes à vendre. On était installé en face du Palais de la Marine. On était 5, moi j'étais le mousse. Je faisais tout : le ménage, la lessive, à manger. Il n'y avait pas de pain à bord, on mangeait des galettes de semoule et il fallait chasser les cafards.


Les débuts à Villefranche

J'ai fait cela pendant trois ans et puis quand j'ai perdu ma mère, j'ai décidé de rester ici. J'avais la volonté d'avoir un métier. Je suis devenu charpentier. Dans les chantiers on faisait tout à la main. Il y avait tous les métiers : ébénistes, charpentiers, pêcheurs, sculpteurs. A mes débuts il y avait un chantier naval « Giuliani ». C'était un gars de Trieste, moi je m'installais où je pouvais, sous les voûtes. J'étais jeune, je voulais faire beaucoup de choses. Quand j'ai commencé je n'avais rien. On faisait des devis comme ça, sur les murs. A cette époque ce n'était pas comme maintenant, les gens venaient vous chercher à la maison. Ce qui est sûr c'est qu'à 11 heures du soir, il nous arrivait de travailler encore. On faisait tout y compris l'aménagement intérieur des bateaux. On construisait beaucoup de pointus pour les pêcheurs. Pour les touristes on faisait des Vegas, des Stars, des Monotypes, des Belugas. A cette époque les membrures étaient étuvées afin de leur donner la forme courbe. Les étuves (dispositif permettant d'assouplir le bois par maintien dans la vapeur d'eau) se trouvaient là derrière. On utilisait du bois d'acacia. Les bordages étaient en pin maritime, la quille en chêne. Sur la darse il n'y avait personne, sauf le chantier Voisin, mais lui ne construisait pas des bateaux.

Les bons souvenirs
 
Après je suis entré chez Rosengart (constructeur automobile) quand il a pris le chantier. On faisait des bateaux pour l'Afrique de 20 à 22 mètres et pour tous les clients qui venaient. On faisait des Bélugas, on en a fait une vingtaine. Quand un bateau neuf arrivait, on le passait au peigne fin pour bien le connaître. Les plus beaux pointus venaient du Cros de Cagnes. C'est les napolitains qui les faisaient. Je garde un bon souvenir de la période où j'ai construit des « slipway » (chariots de halage).


J'ai travaillé aussi sur des bateaux de location. On faisait le tour de Corse. J'ai travaillé sur le bateau de monsieur Puccini, le musicien. C'était un bateau à vapeur de 42 mètres. On a fait le tour de la Méditerranée. J'étais le cuisinier. On était 17/18 dans l'équipage, dont 4 mécaniciens. Moi j'avais acheté un livre de cuisine car je n'y connaissais rien. J'avais 25/26 ans. On allait visiter Capri, Naples, car le fils Puccini menait grande vie à bord. Je suis resté 5 ans ; le capitaine était anglais, le bosco(maître de manœuvre) était yougoslave. Ce sont des bons souvenirs.
 
La fierté du travail accompli
 
Le quartier de la Darse a changé. Avant il n'y avait pas la digue la plus à l'est. C'est le colonel Bastet, maire de Villefranche dans les années 60 qui l'a fait construire. Après, il y a eu moins de houle. Parfois avant il y avait des coups de vent et même une tempête qui avait emporté le toit du bassin de radoub. Aujourd'hui c'est mieux. Ce qui fait plaisir à voir, c'est les nouveaux bateaux. Je n'ai jamais cherché à aller plus loin. Je suis content que mes enfants et petits-enfants travaillent ici. Ils me font honneur. On n'était pas connus ; comme j'étais italien, cela m'a pris 7/8 ans pour avoir les papiers. Je suis fier, je me suis fait tout seul, au coup de poing. »


 

 

 

 

 

 

 

 

 



Interview recueillie par : Jo Masnata, Colette Dory, Jean-Luc Belugou, Michelle Icard.
Transcription par : Michelle Icard, Jo Masnata.
Date de mise à jour : 13 juin 2006

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