Chroniques du XXème siècle racontées par des villefranchois

Chroniques du XXème siècle racontées par des villefranchois

 

 

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                          Voisin                         gangui                   Jo Masnata                  Zaca              contrebandier                         Badalona            Félix Tailliez

 

Lucien Rosengart ou « Le Nom de la Rose »

Par Paul Masnata

J’ai bien connu Monsieur Rosengart, constructeur des voitures du même nom, et propriétaire d’un chantier naval à la darse de Villefranche sur mer. Etant moi-même charpentier de marine, maintenant à la retraite, et fils de charpentier de marine, j’avais 3 ou 4 ans lorsque j’ai fait sa connaissance. Lucien Rosengart, né le 11 janvier 1881 à Paris, décèdera en juillet 1976 à Villefranche-sur-Mer. Soit plus de 30 ans de présence à la Darse. 

La voiture de Monsieur Rosengart

Un patron à l’ancienne

Lucien Rosengart habitait chemin privé de la Darse à Villefranche-sur-Mer. Sa maison y est toujours visible. La propriété qui dégringolait jusqu’aux voûtes de la darse, comprenait la villa Bagatelle et plus bas dans les restanques une villa plus petite où logeaient les gardiens (la famille Carlès). Cette propriété, acquise juste après la seconde guerre mondiale avait été aménagée par les époux Rosengart. Monsieur, de sa terrasse, surveillait ainsi son chantier avec une longue vue. « Je ne veux pas que les ouvriers roulent leurs cigarettes pendant les heures de travail, cela fait trop de temps perdu à la fin du mois ».

Lucien Rosengart qui possédait également des usines de construction automobile et de pièces détachées employant 4 000 ouvriers, était habitué au travail à la chaîne. Sa hantise était la perte de temps de travail. Associé avant la guerre à André Citroën, il gardait de cette collaboration une certaine amertume et affirmait avoir inventé la « traction avant » avant André Citroën qui prétendait le contraire…

Une activité internationale

Dans les années 1945 et 1946, il restaure les bâtiments qui se trouvent après le bassin de radoub, partiellement détruits par les Allemands. De ces années date la création du Centre Industriel et Naval (C.I.N.), chantier qui employait une soixantaine de personnes. Les 2 premiers charpentiers de marine furent Joseph Masnata, mon père, et Mario Casagrande. Leurs héritiers sont toujours en activité à la darse. Chantiers Masnata et Pasqui. Le chantier construira pendant une dizaine d’années des baleinières et des bateaux de plaisance.


Une fois terminées la plupart de ces embarcations étaient transportées sur une remorque jusqu’à la gare SNCF de Villefranche et embarquées dans des wagons ouverts pour être expédiées à leur propriétaires souvent célèbres à l’époque.


Je me souviens de l’une d’elles : un voilier de huit mètres cinquante, coque acajou vernie, appartenant au grand ténor José Lucioni. Quant au projet des baleinières, destinées à l’Afrique, il trouve son origine dans la rencontre d’ un ingénieur des travaux publics, Pierre Louis Carlotti, chargé de la politique de desserte marine et fluviale au ministère de France et d’Outre Mer. Pierre-Louis Carlotti rendait visite à ses parents et à sa belle mère, résidant à Villefranche. Ceci le conduisit tout naturellement à avoir des contacts avec les chantiers Rosengart et Voisin, dans les années 40 et début 50. La technique navale l’intéressait et sa créativité s’exerçait sur des voiliers de compétition et se manifestait par le dépôt de brevets sur des formes de carènes pour des navires à moteur. C’est lui qui confia la réalisation du projet aux chantiers de Villefranche.

Un inventeur toujours en mouvement !

Lucien Rosengart était très actif et inventait toujours quelque chose. Son épouse, Gabrielle, née Montjoroy disait : « il est toujours en mouvement ». Après la construction navale, il se mit à la construction des baby foot. Pas ceux que l’on connaît actuellement, ceux-la étaient recouverts d’une grande vitre, les joueurs étaient indépendants et manœuvrés par des petites poignées boutons extérieurs qui les faisaient pivoter et shooter. Il ne restait plus à l’époque qu’une douzaine d’ouvriers. Ensuite il s’est lancé dans la fabrication de tapis, vases, et toutes sortes de bibelots en caoutchouc. Il faisait des essais afin d’économiser les produits et souvent à la sortie du four, il fallait tout jeter. Colette Dory, habituée de la darse peignait souvent les prototypes.

 

Quelques anecdotes : bateaux, voitures et autres babioles

Dans les années 54 /56 Lucien Rosengart et son épouse allaient dîner à l’Hôtel de Paris à Monte Carlo. Louis Anselmo, chauffeur de taxi chez Vespérini, venait les chercher avec une Desoto 6 cylindres en ligne, 30 litres aux 100, qui ne servait qu’aux époux. Lucien R. était très ponctuel, il fallait le prendre à l’heure exacte qu’il avait fixée, quelques minutes de retard et il renvoyait le taxi. M. Rosengart était capable de générosité, il avait offert à mon père, qui avait perdu sa moto lors de l’incendie de l’atelier, une voiture Rosengart (peut-être une L 44). Je me souviens aussi de sa super traction dans son garage. Après sa mort, elle sera mise en vente au garage Martinez à l’entrée de Villefranche.

 

Lucien Rosengart était propriétaire d’un fifty de 16 à 17 mètres, « le Papouf », acquis avant son arrivée à Villefranche. Mon père, en dehors de son travail de charpentier, le pilotait afin de sortir la famille et les amis. J’allais souvent avec eux et au large, j’avais le privilège de tenir la barre à roue. Lucien Rosengart comptait parmi ses amis le Préfet des Alpes Maritimes, M. Moatti, à qui il avait offert un canot de six mètres, « le Papouf II ». Tous les étés on convoyait ce bateau à Porquerolles.

Une liste contre l’oubli

J’ai encore en mémoire les noms de quelques employés (cadres, ouvriers et secrétaires) notamment le Colonel Bastet, directeur, qui sera par la suite Maire de Villefranche (de 1971 à 1977), monsieur Bonfiglio, sous-directeur, monsieur Boudet, comptable …

Dans l’équipe des charpentiers : outre J. Masnata et M. Casagrande, il y avait Henri Giordan, M. Baratini, M. Beppe du Cros de Cagnes…et parmi les plus jeunes Georges et Marcel Nasari, Roger Zabelli, André Carlès… A la mécanique : Honoré Zunino, Paul Otto-Gallin, M. Bodino…et le tourneur Robert Dibenedetto… A la chaudronnerie : M. Peletera et « Kiki » Favole (qui avaient tous deux construit l’avant-dernier bateau-porte pour le chantier Voisin), « Zézé » Santi et M. Giraud, tourneur et Di Benedetto. A l’intallation des machines : M. Rinaldi. Au magasin : Joannès Buissonet. A l’entretien : Etore Michelotti, que l’on surnommait « tonton », il était gardien d’une villa à Passable et venait travailler tous les jours en pointu, je me souviens de ses énormes moustaches blanches. A la peinture : Monsieur Chiabeau.  Cette liste du personnel est incomplète, toutes les informations seront les bienvenues.

 


 

 

Une affaire de famille: le chantier naval Voisin

 

Bernard VOISIN

Historique de 1939 à 1955

La rédaction de cet article a été rendue possible grâce à l’aimable collaboration de Monsieur Bernard Voisin, décédé depuis en 2007, qui n’a pas hésité à nous faciliter l’accès à ses archives personnelles.

La création 1928

Le chantier naval Voisin fut créé en 1928 par Gabriel Voisin, sous la raison sociale de « Bassin de radoub de Villefranche ». (Gabriel Voisin, 1880-1973, fut avec son frère Charles un des pionniers de l’aviation ainsi qu’un fabriquant d’automobiles de luxe à la marque « Avions Voisin »)

 


Le bassin de radoub, propriété de l’Etat, fut concédé à la Chambre de Commerce de Nice qui le sous-concéda par l’intermédiaire de la Compagnie Consulaire à Gabriel Voisin.

Les années de guerre

Le chantier Voisin fut avant tout une affaire familiale et en août 1939, Georges et Bernard Voisin avaient succédé à leur oncle Gabriel. L’unique atelier du chantier était constitué par un bâtiment le long de la jetée à l’est de la cale sèche. En juillet 1939, 25 personnes y travaillaient, répertoriées dans les corps de métiers traditionnels : radoubage, charpente et menuiserie, mécanique et tôlerie. Un magasin d’atelier faisait office de petit shipchandler. Avec la mobilisation d’août 1939, l’effectif fut réduit à 6 hommes : les trop jeunes ou trop âgés. Georges Voisin fut mobilisé dès cette date et Bernard, en octobre de la même année. La Marine Nationale vint visiter le site à plusieurs reprises, mais le chantier n’eut pratiquement aucune activité jusqu’en juillet 1940. Georges démobilisé en juin 1940 revint à Villefranche mais Bernard fut maintenu « sous les drapeaux » et incorporé comme appelé du Contingent dans la dénommée « Armée de l’Armistice ». Il ne revint à Villefranche qu’en novembre 1942. De juillet 1939 à novembre 1942, le chantier naval tourna au ralenti. Une quinzaine de personnes y réalisèrent des travaux de maintenance sur des bateaux de pêche ou de servitude. Quelques constructions neuves de bateaux de sport et de petits voiliers pour les eaux intérieures virent le jour. En novembre-décembre 1942, la Marine italienne réquisitionna le chantier et son personnel. Des travaux furent entrepris sur des navires de plaisance que la Marine italienne envisageait de convertir en unités de patrouilleurs. Plus de 40 personnes travaillèrent aussi sur des vedettes de la Marine Royale, type M.A.S.

L’occupation allemande : la Kriegsmarine

En septembre 43, dès le départ des Italiens, le chantier et son personnel furent réquisitionnés par la Kriegsmarine et classés « Entreprise S Betrieb » dénomination qui permit de fixer entre 80 et 100 personnes sur le site de Villefranche et éviter ainsi des départs au titre de la « relève » ou du S.T.O (service du travail obligatoire) en Allemagne. Bernard Voisin précise que :

 » Il est clair qu’à cette époque le chantier servit avant tout de protection à un personnel pléthorique, aux résultats peu concluants« .

Les travaux réalisés pendant cette période le furent sur des bateaux que les Italiens avaient abandonnés et sur des péniches fluviales que la Kriegsmarine utilisait pour un petit cabotage côtier.
Tous les bâtiments portuaires furent utilisés par la Kriegsmarine. Les cinq voûtes de la caserne Dubois, dont on bétonna le sol, servirent de dépôt de munitions. On y trouvait des torpilles sous-marines, des mines magnétiques sous-marines, des grenades de lutte anti sous-marins. La circulation dans l’enceinte du port ne se faisait que sur laisser-passer. Les bâtiments situés entre la route nationale et le bord de mer étaient pratiquement tous évacués car l’ensemble de la zone portuaire était soigneusement gardé.

Le bouquet final allemand

Le bassin de radoub après le départ des allemands
Le matin de leur départ, en août 44, les Allemands, qui avaient placé des fourneaux de mine un peu partout (dans les ateliers du chantier, la caserne Nicolas, le bassin de radoub, la caserne Dubois, les quais de la grande jetée), procédèrent aux mises à feu prévues. La grande jetée fut pétardée en trois endroits.

Deux mines détruisirent les murs du bassin de radoub et une troisième l’ensemble de la station de pompage. Les trois voûtes centrales de la caserne Nicolas s’effondrèrent. Il en fut de même pour les trois quarts de la voûte sud de la caserne Dubois ainsi que son piédroit avec la voûte mitoyenne. Les dégâts furent importants mais cependant limités, au regard du plan original de destruction.

 


Les séquelles de la guerre sur terre: Les opérations de déminage

En septembre et octobre 1944, la Marine Nationale française, aidée par le personnel du chantier, procéda à l’enlèvement des munitions et engins entreposés dans les voûtes de la caserne Dubois. Cet enlèvement, heureusement, fut plus de la manutention que du déminage. En effet, si les mines magnétiques devaient être rendues inertes, les torpilles étaient incomplètes et les grenades sous-marines n’étaient pas amorcées. On pouvait donc manipuler sans danger les caisses à munition, contenant un approvisionnement complet pour les petits et moyens calibres. L’ensemble des voûtes de la caserne Dubois, fut ainsi déblayé, à l’exception de la première voûte sud effondrée.

Des munitions toujours ensevelies?

Cette voûte abritait-elle des munitions? C’est fortement probable. Cependant, la question reste posée, personne ne pouvant y répondre, hormis les soldats allemands ou feu Monsieur Beaudouin, architecte des bâtiments de France. En effet, l’effondrement des bâtiments subsista jusque vers le milieu des années 50. A cette date, l’architecte, après avoir nivelé les décombres du niveau supérieur, édifia une serre, dont les restes sont toujours visibles aujourd’hui. La question a préoccupé l’Administration à plusieurs reprises. Au début des années 70, deux équipes d’artificiers ont eut accès à la serre Beaudouin. Munis de détecteurs de métaux, ces deux techniciens ont inspecté le sol, ont envisagé de faire des forages mais sont repartis …sans informer les usagers du port!

« Il est à espérer que le compte-rendu de ces missions figure dans les archives des ponts et chaussées maritimes de l’époque, puisque M. Chauvet, ingénieur T.P.E. chargé du service maritime les accompagnait », soupire Bernard Voisin.

Les séquelles de la guerre sur mer: on a frôlé la catastrophe

Les fourneaux de mine qui n’avaient pas explosé furent désarmés par les artificiers de la Marine Nationale et les explosifs, (des cheddites) qui les équipaient furent débarrassés et détruits par le personnel du chantier. Cependant, un épisode mal connu de cette époque de reconstruction, aurait pu avoir des conséquences tragiques. Bernard Voisin l’évoque pour nous:

« Fin juillet 44, la Kriegsmarine avait amené au port de la Darse, une mahonne (un chaland destiné à effectuer les manutentions des marchandises entre la terre et les navires). Cette mahonne, fut chargée de mines sous-marines magnétiques placées sur les chariots de manutention, lesquels, après immersion servaient de corps-morts. Après le départ des troupes allemandes, la mahonne fut retrouvée à moitié coulée à une quinzaine de mètres de l’appontement de la crique de Passable. La marine Nationale demanda au chantier naval de remorquer l’engin au port de la Darse. Lors de la manoeuvre, quelque peu délicate, trois mines tombèrent à l’eau. Le maître artificier qui commanda l’opération se contenta de faire un rapport en disant que  » la suite nécessaire serait donnée par les Autorités maritimes ». Les mines, furent enfouies dans le sable de l’oubli!« 

Les choses en seraient restées là, mais il y a une vingtaine d’années, un coup de mer affouilla le sable et dégagea ainsi une mine découverte par un plongeur. Quelque temps plus tard, dans la presse locale on vit la magnifique photo d’une mine explosant par les soins des artificiers dépêchés de Toulon. Bernard Voisin en frémit encore:

« Je n’appris ce détail, qu’après la parution dans la presse locale, d’une magnifique photo de la mine explosant par les soins des artificiers de la Marine Nationale dépêchés de Toulon. L’explosion a eu lieu là où la mine a été trouvée. Je tiens à préciser que, si j’avais été informé de ce projet, j’aurais à mon tour informé les artificiers de la présence des deux autres mines et des risques encourus par l’utilisation d’une méthode aussi radicale! »

Heureusement cette fois là, il n’y eut pas de perte humaine mais espérons que les deux autres mines enfouies dans le sable ne feront pas parler d’elles.

Septembre 44: c’est reparti!

Dès la mi-septembre le chantier naval s’était remis au travail avec un effectif d’une quarantaine de personnes. On renfloua les bateaux coulés à Villefranche et dans d’autres ports du littoral.

Le bassin de radoub fut remis en état. La Marine Nationale s’y intéressa et insista pour une remise en service rapide. Au début décembre 44, la cale sèche était opérationnelle et on y procéda à l’entretien des navires démineurs magnétiques américains, MMS (Motors Mine Sweepers) remis par la Marine américaine à la Marine Nationale Française. Ces travaux s’étendirent à des unités de chasseurs également en bois et à des patrouilleurs de type P.C. en acier. Tous ces navires étaient d’origine américaine. Dès le début de l’année 45, les unités de plaisance qui avaient été sabordées par les Allemands, tant à Villefranche que dans les autres ports de la côte avaient été renflouées par différentes entreprises, dont le chantier Voisin. La survie de l’entreprise était alors assurée : d’une part par des activités de la Marine Nationale, d’autre part avec les activités de refonte des navires sabordés. A cette époque, les effectifs atteignirent une cinquantaine de personnes. Le Chantier naval diversifia ses activités. Son antenne de Paris devint le fournisseur attitré de la S.R.P.F. (société pour le renouvellement du parc fluvial français) et réalisa environ 80 motorisations de péniches fluviales entre 1948 et 1951. Georges Voisin basé à Paris se sépara de Bernard qui resta seul à Villefranche.

La belle époque du cinéma.

Dès 1948, les studios de la Victorine, firent appel au chantier naval pour la réalisation de nombreuses séquences nautiques. Bernard Voisin nous rapelle que:

« Les conditions de cette collaboration furent parfois rocambolesques car certaines de ces « sociétés de production » étaient éphémères et leur solvabilité aussi. Pour ne pas prendre trop de risques financiers, il était préférable de présenter la facture tous les soirs et de ne recommencer le travail qu’après avoir été payé. Heureusement des producteurs sérieux survécurent et quelques scènes maritimes assez réussies furent tournées. »

 » Le capitaine Hornblower »

En décembre 1949, Bernard Voisin fut contacté par Ken Adam, représentant la branche anglaise de la Warner Bross pour la réalisation d’un film sur les aventures du capitaine Hornblower, héros du livre de C. Forrester. Les vedettes étaient Grégory Peck et Virginia Mayo. Laissons la parole au spécialiste :

« Une coque d’ancien cordier malouin, désarmé à Sète fut rachetée et reconvertie en frégate de la fin du 18ème. Il ne s’agissait pas d’un décor mais d’une réelle construction de bateau. Le cahier des charges précisait des contraintes de navigation sous voile avec des vents jusqu’à 18 noeuds et autres obligations que seul un producteur anglo-américain pouvait imaginer ».


La conversion de ce bateau prit cinq mois, le tournage plus de trois mois et le chantier consacra près de 25 000 heures à ces travaux de collaboration avec Ken Adam. La Warner Bross confia au chantier la direction des opérations maritimes et de navigation ainsi que l’affrètement de la frégate et des douze annexes.

Plus vrai que nature!

Le tournage fut réalisé de fin juillet à début octobre 50, principalement à Villefranche et dans la rade. Le quai Amiral Ponchardier, au pied de la vieille ville, fut le cadre d’une séquence censée se passer au tout début du 19ème dans la ville de Nantes. Bernard Voisin nous confie un petit secret:

« La réalisation de cette séquence fut particulièrement réussie puisque dans un récent ouvrage illustré, figure la photo du décor accompagnée de cette légende:  » Le port avant 1900, (sic) les quais sans voitures mais avec les filets des pêcheurs! « 

D’autres séquences furent tournées dans la rade, le long de la côte ouest du Cap Ferrat et devant le port de la Darse.

Petits potins en coulisses! 

Cette période de tournage, nous rappelle B. Voisin :

« constitua une aventure assez exceptionnelle, avec des acrobaties imposées par les problèmes de couple de Raoul Walsh. Celui ci était marié à une charmante blonde – qui aurait pu être sa fille ou sa petite fille- et gardait un oeil très vigilant sur son épouse ». Cette dernière, de son côté, manifestait beaucoup d’intérêt pour Edmond T. Gréville*, metteur en scène de l’équipe française qui doublait l’équipe anglaise pour des raisons syndicales. Gréville, rendait largement à Mary Walsh la sympathie qu’elle lui manifestait, aussi les séquences de tournage étaient elles fréquemment interrompues par la sempiternelle question: Where is Mary ? . S’il n’obtenait pas de réponse, le mari jaloux se précipitait alors à la recherche de l’épouse volage.

La Taverne de la Nouvelle Orléans et autres anecdotes.

Maintes histoires de tournage, rempliraient des pages et des pages. Selon Bernard Voisin :

« La réalisation d’un film est une succession de moments actifs ou passifs mais toujours turbulents et très distrayants. Lors du tournage de la Taverne de la Nouvelle Orléans, en décembre 1950, avec Micheline Presle et Errol Flynn, j’eus mon heure de gloire. Je fus choisi pour doubler l’acteur américain, lors de la dernière séquence où il était censé enlever Micheline Presle dans ses bras pour la sauver des flammes. Errol Flynn, ivre mort fut incapable de tourner et je garde un souvenir amusé de cette séquence nocturne, réalisée dans une épaisse fumée où j’apparais de dos, tenant dans mes bras la ravissante Micheline! »

Une excellente réputation à maintenir.

Le chantier naval continuait par ailleurs ses activités plus traditionnelles. Dès 1951, étaient relancés la réparation navale des unités de Grande Plaisance et l’entretien de la flottille des bateaux provenant de la vente des surplus des marines américaine et anglaise. Un marché assez florissant car ces vedettes de 25 à 35 mètres servaient à la contrebande de cigarettes sur le littoral italien. La réputation de l’entreprise était excellente dans le milieu de la Grande Plaisance, et le chantier employait une soixantaine de personnes. L’effectif pouvant atteindre, en période de travaux importants, jusqu’à 80 ou 90 employés. A l’échelon mondial, on ne comptait guère plus de 350 unités de Grande Plaisance. La majorité d’entre elles avaient été construites avant la guerre et réquisitionnées par la Marine Anglaise. Des travaux de refonte complète étaient alors nécessaires. Les qualités de sérieux de l’entreprise, se sont maintenues jusqu’en 1988, soit pendant 60 ans. Le chantier naval Voisin peut s’enorgueillir d’avoir été le seul chantier naval occupant tous les corps de métier de la profession. Il fut, d’autre part, le seul au monde créé avant la deuxième guerre mondiale et resté aux mains d’un même groupe familial. Bernard Voisin conclut :

« Si cette exceptionnelle longévité est mentionnée, ce n’est pas pour dire que nous avons été les meilleurs mais uniquement pour affirmer notre entêtement dans une activité qui a procuré beaucoup de joie. Une joie partagée par l’équipe de direction mais aussi par de nombreux membres du personnel. Avoir la chance de participer à une création du début à la fin est suffisamment rare pour justifier la passion que peut inspirer un tel métier! »

* Bernard voisin nous précise : »Edmond Greville était un metteur en scène dont la carrière assez brillante se poursuivit jusqu’aux années 1960, date à laquelle il mourut. Il réalisa plusieurs films sur la Côte d’azur. Le dernier fut:  » L’île du bout du monde ». Lors du tournage, le chantier naval échoua, d’une façon assez spectaculaire, une ex-vedette Fairmile de 33 mètres de longueur sur la Pointe des Fosses, à Saint Jean Cap Ferrat. Le bateau était sorti sur plus du tiers de sa longueur, l’arrière sous la surface de la mer et l’avant à plus de huit mètres au dessus des rochers. La cinémathèque de Nice a rendu hommage à ce metteur en scène qui était un homme plaisant, bien élevé et très amusant. J’en ai gardé un excellent souvenir! »


Interview recueillie par : Jo Masnata, Colette Dory, Jean-Luc Belugou, Michelle Icard.
Transcription par : Michelle Icard.
Date de mise à jour : 12/01/2007

Edmond Greville

Article en relation avec « Une affaire de famille, le chantier naval Voisin »,  Bernard Voisin nous précise:

« Edmond Greville était un metteur en scène dont la carrière assez brillante se poursuivit jusqu’aux années 1960, date à laquelle il mourut. Il réalisa plusieurs films sur la Côte d’azur. Le dernier fut:  » L’île du bout du monde ». Lors du tournage, le chantier naval échoua, d’une façon assez spectaculaire, une ex-vedette Fairmile de 33 mètres de longueur sur la Pointe des Fosses, à Saint Jean Cap Ferrat. Le bateau était sorti sur plus du tiers de sa longueur, l’arrière sous la surface de la mer et l’avant à plus de huit mètres au dessus des rochers. La cinémathèque de Nice a rendu hommage à ce metteur en scène qui était un homme plaisant, bien élevé et très amusant. J’en ai gardé un excellent souvenir! »

 


 

La pêche aux souvenirs de Titin, pêcheur au « gangui »

Baptistin Begonzio partage ses connaissances et sa passion pour la pêche dans la rade de Villefranche.

Les techniques de pêche varient en fonction de la nature des fonds, de la configuration du littoral, des espèces de poissons – sédentaires ou migrateurs – sans oublier, bien sûr la réglementation en vigueur. Au milieu de la rade de Villefranche, les fonds sont plutôt sablonneux et vaseux. Le courant varie d’est en ouest, du nord vers le large, « il rentre ou il sort ». Le vent d’est favorise la pêche, le vent d’ouest, le Mistral la contrarie. La zone de pêche où l’on trouve des herbiers de posidonies [1] est une bande de 100 mètres environ, à partir de la plage.

Le gangui

Titin a longtemps pratiqué la pêche au gangui [2]

Tous les pêcheurs commençaient avec le gangui, mais après avoir gagné un peu d’argent, ils achetaient d’autres filets : des buguières, des filets pour anchois et sardines etc… Cependant Titin est resté fidèle à cette technique qui peut paraître simple : un homme, un bateau, la mer. Tout un apprentissage en vérité, une véritable initiation pour tout apprenti de cette pêche à petite vitesse, sans moteur. En effet comment remplacer la force motrice pour chaluter, c’est à dire traîner un filet sur les fonds ? Le gangui, avec son tourniquet utilisant la traction du mouillage est une des solutions possibles.
Le gangui est un petit chalut demi-circulaire avec un système de 4 cordages, qui se traîne à petite vitesse.

« Moi, j’ai beaucoup aimé de faire le gangui, le gangui à bras qui était autorisé chez nous. C’est un genre de chalut, un petit chalut, pas énorme parce qu’il faut le tirer à bras ; tandis que dans le nord, le chalut c’est des grands engins. Nous, nos fonds n’étaient pas propices pour cela parce qu’il y a beaucoup de trous, de dénivellations, de rochers ; faut connaître les coins. C’est ça qu’on apprend, qu’on a appris avec les patrons anciens, le métier quoi ! On savait où il fallait aller, où il n’y avait pas de rochers, pas de trous. Malgré tout on arrivait à accrocher pareil avec le courant et le vent ; il nous déportait et alors ça accrochait, on tombait dans un trou, on accrochait et on recommençait.

De la persévérance, de la constance, de la minutie, de la patience, du « gaubi » (de l’adresse), toutes ces qualités sont nécessaires à la pratique du gangui. Voyons en les principales étapes.

Les principales étapes de la pêche au gangui

Etape fondamentale
La préparation du matériel. En effet, le pêcheur est le seul maître à bord du pointu et de la qualité de la préparation dépend le succès de sa pêche. Il faut tout d’abord démêler la « frugna » (les quatre cordages qui retiennent le filet). Ne pas oublier de bien disposer le gangui avec son « badau » ( bois qui sert à le maintenir ouvert) sur l’arrière de l’embarcation.

L’ancrage
Le bon pêcheur sait repérer le fond, sans trous, entre 8 et 15 mètres, l’ancre ne doit surtout pas déraper. Le bateau bien ancré, le pêcheur rame en marche arrière et le moulinet de l’avant libère les 150 mètres de filin.

La mise à l’eau du gangui
La difficulté réside dans la rapidité du geste. Il est important de faire vite car le bateau s’arrête quelques instants, grâce à l’équilibre des tractions avant et arrière, mais il va avancer de nouveau en direction du mouillage. Au moment où le pêcheur lâche ses rames, il doit sauter sur l’arrière du bateau et jeter le filet à l’eau. Celui-ci descend grâce au filin libéré par le tourniquet de l’arrière. Le filet, tel un parachute, doit se poser bien au fond, correctement, dans le sens de la marche. Le pêcheur repasse alors vers l’avant et va actionner le tourniquet pour reprendre son mouillage. Pendant que le bateau avance, le moulinet arrière déroule 80 mètres environ de filin. Opération délicate qui ne doit pas être interrompue. On est toujours dans la mise en place du filet.

Une pause bien méritée: le bateau immobilisé.
Le pointu s’immobilise lorsqu’il est tendu sur l’avant et l’arrière. Le pêcheur bloque alors le tourniquet avant et peut se reposer quelques minutes et se restaurer avant le travail en force de l’étape suivante.

Le chalutage
Le pêcheur reprend le moulinet arrière complètement déroulé. En actionnant le moulinet, le filet revient vers le bateau, en dérapant sur le fond. Il ne faut surtout pas s’arrêter avant que le filet ne soit à bord du bateau. En effet, les poissons restent à l’entrée de la poche, ils suivent le courant d’eau et ne vont être emprisonnés que lorsque le pêcheur remontera le filet et le refermera par les deux poignées !

« On ramassait le poisson qui se trouvait sur le chemin, il se laisse remorquer, il n’a pas peur. Mais quand le poisson sortait, alors le travail était perdu et il fallait recommencer.

Ainsi, dix à douze fois de suite. Une bonne pêche au gangui donnait 5 kilos de poissons pour la soupe, 2 à 3 kilos de poulpes pris au piège et quelques seiches.

« Le gangui, c’était de septembre à avril, après, en été les algues venant trop hautes, le gangui passait dessus et ne prenait pas le poisson. On prenait mieux le poisson quand en hiver il y avait eu la tempête , la « labech » qu’on appelle, parce que les algues avaient été coupées. La tempête avait enlevé les algues mortes. C’était tout neuf. Nous pêchions la nuit, le jour, la nuit nous prenions des crevettes. Parfois on ne pouvait plus travailler parce qu’il y avait trop d’oursins. Les oursins sortent de leur trou de sable le soir. Des fois, il fallait s’en aller parce qu’il y en avait trop.

La belle époque de la pêche, les années 1925-1930

Titin se souvient des années fastes de la pêche à Villefranche, à cette époque jusqu’à 70 pêcheurs vivaient de la pêche, parmi eux son père.

« Du temps de mon père, il en prenait 150 à 200 kg par nuit, mais tout était vendu parce qu’il y avait quelqu’un qui les achetait et qui faisait fonctionner un wagon ou un petit train à la gare. Chacun apportait tout le poisson à la gare à 20 sous le kg ou 20 francs, je ne me rappelle plus. C’était du temps de mon père, c’était vers 1925, 1930. Alors tous les quais étaient pleins, tout le monde démaillait à 8 ou 10 personnes. Moi j’étais gamin, je ne m’en occupais pas ; c’est ce que me disait mon père. Nous pêchions au Cap Ferrat, il n’y avait pas de moteur à l’époque encore, ils allaient encore à la rame. Une fois mon père m’a dit qu’ils avaient tellement chargé que le bateau était au ras et ils se sont fiés à venir à la rame, alors que s’il y avait eu un peu de clapotis, ils auraient sombré tellement ils en avaient pris. C’était une aubaine à l’époque, cela faisait de l’argent. A l’époque , la paye d’un ouvrier était à 2F50, 3F la journée ; alors 150 kg cela faisait 150 F, cela représentait de l’argent. Ca a duré toutes les années, ils étaient deux sur le bateau. Il y avait quelques 70 bateaux à l’époque, à l’autre port. Chacun allait appeler les personnes pur les aider à défaire le poisson et à démailler. »


A chacun sa cale

Anciennement les pêcheurs étaient nombreux, aussi le 1er mars, la prud’homie organisait-elle un tirage au sort des cales. Les pêcheurs tiraient un numéro inscrit ensuite sur une fiche. Pour ne pas faire d’inégalité, cela suivait un cycle tout autour de la rade. A l’extinction des fanaux de la ville si une cale n’était pas prise , les pêcheurs pouvaient la prendre.

A chaque poisson son filet

Pour les bugues, les anchois, les dorades, les sardines, les filets peuvent rester en surface avec le liège. C’est la longueur qui change.

« A l’époque les filets étaient en coton et les femmes les remaillaient tous les jours. Les dauphins faisaient pas mal de dégâts surtout la nuit. Le quai devant l’hôtel Welcome était tapissé de filets qui séchaient. »

Les buguières : utilisés de mars à fin mai, ce sont des filets droits de 300, 400 mailles de haut selon la taille des poissons (Quatre cent mailles font environ une bonne dizaine de mètres). Ce filet d’environ 100 mètres de long est posé en arc de cercle.

Les filets à anchois, et sardines sont des filets droits que l’on cale en arc de cercle, si possible avec deux bateaux. Les filets vont au gré du courant. La pêche s’effectue au mois de mai, le long du Cap Ferrat.

« Ou le courant entrait, ou il sortait, et alors on attendait. De temps en temps on allait voir, on tirait quelques mètres de filet pour voir s’il y avait quelque chose. Souvent il n’ y avait rien. Alors on recalait et on attendait. Parfois, à peine le filet calait, il passait une troupe et le filet allait au fond. Il fallait le remonter à deux quand il était plein. A l’époque il n’y avait pas de treuil. Un pêcheur était dans le trou de poupe, à l’arrière, le trou d’homme , l’autre était à « l’estiva ». L’un tirait, l’autre accompagnait pour ne pas trop tirer le poisson. Puis après on mettait le poisson sur le côté pour ne pas l’écraser ».

Guetteur de poisson

Le mulet, poisson moins consommé aujourd’hui, se pêchait de mai à juin, avec une mugelière l’on tendait entre deux bateaux ancrés.

« C’était un grand filet qui faisait barrage au bout. A terre il y avait un guetteur sur les hauteurs des rochers. Comme son nom l’indique il guettait les bancs de mulets. Toute la matinée à regarder le fond de l’eau, c’était assez fatigant mais indispensable pour avertir les pêcheurs de la progression des poissons. »

La teinture des filets

Elle est bien loin l’époque où, chaque jour, sur le quai ou le parking de l’actuelle gare maritime, les femmes de pêcheurs ramendaient. Dès leur retour, inlassablement, elles remaillaient ces toiles en coton. La teinture des filets, travail pénible, était l’affaire des hommes.

Ecoutons Titin :

« A cette époque là, les filets étaient en coton et coûtaient cher à l’achat. On n’ achetait rien que la toile du filet, après on devait les monter. Il fallait acheter du liège, les cordages et les plombs. C’était tout un travail pour le monter. On fondait le plomb. Moi je faisais ça chez moi, à la maison, sur la cuisinière. Il ne fallait pas craindre le plomb. Moi, ça me faisait rien mais mon frère qui était asthmatique ça le dérangeait énormément.

Quand les filets commençaient à être usés, il fallait faire une teinture à l’écorce de pin, tous les quinze à vingt jours. Il y avait un local contenant des grandes bailles, des grands chaudrons d’eau. Il fallait faire bouillir cette eau avec le bois. Certains mettaient de tout, tout ce qui pouvait faire du feu, même des pneus ! Alors, pensez un peu à la fumée que ça faisait. On avait un bassin, tout taillé d’une seule pierre, en creux et avec des marteaux en bois et non en fer, on était deux à taper sur l’écorce, l’un après l’autre pour la réduire en poudre. Alors, une fois bien pilée, quand l’eau avait bouilli, on jetait la poudre dans la baille. A deux on se passait le filet, aux poignets, on le trempait dans l’eau et cinq minutes après, on le jetait dans l’autre cuve vide et puis ainsi de suite tant qu’il y avait du filet à teindre. On était tous torse nu à cause de la chaleur, ça suait, ça faisait comme la thalasso tellement on transpirait ! »

« Monsieur Cocteau »

Les recettes de cette chapelle emblématique de Villefranche sont reversées aux pêcheurs.

« La chapelle Cocteau a commencé comme cela : où il y a la chapelle actuelle, c’était un hangar de remise de filets dont on ne se servait pas. Quand on en avait besoin, on y allait, on les prenait, on les mettait à bord, on allait les caler. Cela servait de remise. Puis quand est arrivé Monsieur Cocteau, il a été intéressé par cette chapelle. Avec Albert Laurent, ils ont essayé d’avoir le local parce qu’ils avaient envie de la décorer. Alors on s’est arrangé. Nous, on a dit que nous étions d’accord si on nous donnait un autre endroit pour remiser les filets. Et cela s’est fait ainsi. C’est ainsi que Monsieur Cocteau a pu décorer la chapelle ».


Des blues jeans dans la rade

Titin évoque les relations entre les pêcheurs et les bateaux de la US Navy. La mode du blue jeans et des chemises à l’américaine sévissait déjà.

« Certains pêcheurs travaillaient avec les Américains pour les transporter à bord et vive versa. D’autres faisaient la pêche. En général ça travaillait bien avec le transport des marins. A cette époque il y avait un syndicat de pêcheurs bateliers formé en 1902. Comme ça, nous avions tous notre nom inscrit sur les listes, liste paire, liste impaire et quand il y avait des américains on partait à tour de rôle. Par exemple, la journée il y avait un buraliste qui était sur le port dans une guérite. Il encaissait la somme pour aller à bord, des marins, puis le premier bateau à partir étaient désignés. A la fin de la journée, il faisait les comptes et le partage. Ce qu’il y avait était partagé entre ceux qui avaient travaillé. Dans cette affaire là, il y avait aussi une demi-part pour les anciens qui ne pouvaient plus travailler. C’était une bonne organisation. C’était des choses entre nous. »

Une bonne organisation en effet, dans ce domaine, mais d’autres activités ne méritent peut être pas cet adjectif. Les bateliers ramassaient les ordures des bateaux qui ne disposaient pas d’incinérateur. Une vedette allait chercher les déchets à bord pour les rejeter au large ! A cette époque là il y avait peu de conditionnement en plastique et surtout du carton qui restait sur l’eau. Ce carton était récupéré, découpé et vendu à terre.

Notes :

[1] végétaux marins, formant un écosystème d’une grande richesse biologique et particulièrement vulnérable.

[2] filet de pêche traînant. Utilisé traditionnellement par les pêcheurs de la région.

 


 


 

 

Itinéraire d’un mousse sarde

Entretien avec Joseph Masnata en 2006. Originaire de Sardaigne, il nous raconte ses voyages et son parcours jusqu’à Villefranche où il crée son chantier naval. Aujourd’hui ce sont ses enfants et ses petits-enfants qui perpétuent la tradition.

Né sur une île

Joseph Masnata

Monsieur Masnata Joseph, âgé alors de 92 ans, fondateur du chantier naval du même nom, nous raconte comment il a connu le port de la Darse et s’est établi à Villefranche.

 » Je suis né sur l’île de de San Pietro, au sud-ouest de la Sardaigne. C’était une colonie génoise, on y parlait génois. J’ai toujours eu envie de travailler sur la mer. J’ai commencé la navigation à 12/13 ans avec mon père. C’était un patron maritime, il fallait marcher droit avec lui! J’avais une soeur et un frère agrégé de philo et de français, professeur à l’école navale. Là bas tout le monde vivait de la mer.

De Carloforte à Villefranche

Je suis venu à Villefranche avec 40 tonnes de langoustes. C’était dans les années 1932/1933. On venait de la Sardaigne, du sud ouest de l’île. Notre port d’attache, c’était Carloforte à l’île San Pietro. On faisait aussi la pêche au thon.

Le bateau s’appelait la Yolanda, il faisait 26 mètres de long sans le bout dehors. C’était une goélette de 120 tonnes. On partait à 2 ou 3 goélettes. La nuit on ne se voyait plus car les feux consommaient du pétrole. On naviguait à la polaire (étoile indiquant le nord en navigation). Pour venir, parfois on mettait une semaine, 20 jours, 40 jours. Cela dépendait des vents. On venait par le golfe de Gênes, la nuit avec les vents de terre. Il n’y avait pas de météo et pour connaître les vents on jetait de la cendre sur l’eau. On venait pour vendre des langoustes à un mareyeur qui s’appelait Véran. Quand on ne venait pas ici, on allait les vendre à Marseille ou même à Barcelone. On arrivait, on restait 20, 25, 30 jours. On débarquait chaque jour la quantité de langoustes à vendre. On était installé en face du Palais de la Marine. On était 5, moi j’étais le mousse. Je faisais tout : le ménage, la lessive, à manger. Il n’y avait pas de pain à bord, on mangeait des galettes de semoule et il fallait chasser les cafards.

Les débuts à Villefranche

J’ai fait cela pendant trois ans et puis quand j’ai perdu ma mère, j’ai décidé de rester ici. J’avais la volonté d’avoir un métier. Je suis devenu charpentier. Dans les chantiers on faisait tout à la main. Il y avait tous les métiers : ébénistes, charpentiers, pêcheurs, sculpteurs. A mes débuts il y avait un chantier naval « Giuliani ». C’était un gars de Trieste, moi je m’installais où je pouvais, sous les voûtes. J’étais jeune, je voulais faire beaucoup de choses. Quand j’ai commencé je n’avais rien. On faisait des devis comme ça, sur les murs. A cette époque ce n’était pas comme maintenant, les gens venaient vous chercher à la maison. Ce qui est sûr c’est qu’à 11 heures du soir, il nous arrivait de travailler encore. On faisait tout y compris l’aménagement intérieur des bateaux. On construisait beaucoup de pointus pour les pêcheurs. Pour les touristes on faisait des Vegas, des Stars, des Monotypes, des Belugas. A cette époque les membrures étaient étuvées afin de leur donner la forme courbe. Les étuves (dispositif permettant d’assouplir le bois par maintien dans la vapeur d’eau) se trouvaient là derrière. On utilisait du bois d’acacia. Les bordages étaient en pin maritime, la quille en chêne. Sur la darse il n’y avait personne, sauf le chantier Voisin, mais lui ne construisait pas des bateaux.

Les bons souvenirs

Après je suis entré chez Rosengart (constructeur automobile) quand il a pris le chantier. On faisait des bateaux pour l’Afrique de 20 à 22 mètres et pour tous les clients qui venaient. On faisait des Bélugas, on en a fait une vingtaine. Quand un bateau neuf arrivait, on le passait au peigne fin pour bien le connaître. Les plus beaux pointus venaient du Cros de Cagnes. C’est les napolitains qui les faisaient. Je garde un bon souvenir de la période où j’ai construit des « slipway » (chariots de halage).

J’ai travaillé aussi sur des bateaux de location. On faisait le tour de Corse. J’ai travaillé sur le bateau de monsieur Puccini, le musicien. C’était un bateau à vapeur de 42 mètres. On a fait le tour de la Méditerranée. J’étais le cuisinier. On était 17/18 dans l’équipage, dont 4 mécaniciens. Moi j’avais acheté un livre de cuisine car je n’y connaissais rien. J’avais 25/26 ans. On allait visiter Capri, Naples, car le fils Puccini menait grande vie à bord. Je suis resté 5 ans ; le capitaine était anglais, le bosco(maître de manœuvre) était yougoslave. Ce sont des bons souvenirs.

La fierté du travail accompli

Le quartier de la Darse a changé. Avant il n’y avait pas la digue la plus à l’est. C’est le colonel Bastet, maire de Villefranche dans les années 60 qui l’a fait construire. Après, il y a eu moins de houle. Parfois avant il y avait des coups de vent et même une tempête qui avait emporté le toit du bassin de radoub. Aujourd’hui c’est mieux. Ce qui fait plaisir à voir, c’est les nouveaux bateaux. Je n’ai jamais cherché à aller plus loin. Je suis content que mes enfants et petits-enfants travaillent ici. Ils me font honneur. On n’était pas connus ; comme j’étais italien, cela m’a pris 7/8 ans pour avoir les papiers. Je suis fier, je me suis fait tout seul, au coup de poing. »

Joseph Masnata, ses enfants et petits enfants

Interview recueillie par : Jo Masnata, Colette Dory, Jean-Luc Belugou, Michelle Icard.
Transcription par : Michelle Icard, Jo Masnata.
Date de mise à jour : 13 juin 2006

Une histoire de pointu

Colette, propriétaire de « Jean-Marie » depuis plus de trente ans, nous raconte son attachement à ce bateau sauvé de la dégradation et de l’oubli, ainsi que sa passion pour la navigation à la voile latine

Un homme, un bateau…

L’histoire commence, dans les années 1930 au chantier naval Di Stefano de Cagnes. Les charpentiers s’affairent et assemblent quille, membrures, bordés, galbords, pour former la coque de ce pointu. Chaque pointu est unique, Il n’y a pas de moule, on le construit selon le gabarit de Saint Joseph. (C’est un procédé artisanal qui permet de construire des bateaux assez différents selon le goût et le coup d’oeil du charpentier. Il n’existe pas de plans). C’est une commande, parmi d’autres, faite par Monsieur S., pêcheur professionnel de Villefranche. Le sort de cette embarcation encore anonyme est tracé d’avance. C’est l’outil de travail par excellence en Méditerranée. Son arrière pointu, destiné à couper la vague courte, facilite l’opération de relevage des filets. « On peut le tirer sur la plage le soir, il n’a pas besoin de port. Il est sûr, pratique à taille humaine: un homme, un bateau » (Benjamin Dauthier). Destiné à la pêche, il sera pourvu d’un moteur et mouillera parmi ses semblables, au port de la Santé à Villefranche.

Les années passeront, le pêcheur vieillissant cessera alors son activité. Avec fierté il transmettra son savoir faire et son outil. Sans doute était-ce l’espoir de Monsieur S. père de dix enfants. Il baptisa le pointu du prénom de son aîné. Ainsi, Jean Marie, l’homme et le bateau, continueraient-ils à rechercher les meilleures cales à l’anchois, à la sardine, aux mulets. Mais parfois, il en va ainsi dans les familles, les aînés ne suivent pas le sillage de leur père. Aussi, Monsieur S. propriétaire d’un autre bateau dénommé le Rêve, délaissa-t-il cette barque devenue désormais inutile.

Une nouvelle famille

Dans les années 60, le pointu abandonné dans le port survécut grâce aux locations estivales à des Parisiens de passage. Colette, sa propriétaire actuelle, se rappelle qu’à cette époque :

« On le louait quand on voulait aller à la pêche. On mettait 20 litres d’essence et on sortait, mais il était dans un état lamentable. Son propriétaire l’avait arrangé avec des clous qui étaient rouillés. C’était pas le rêve! « 

Pourtant, Jean Marie trouva grâce à ses yeux. Il fut sauvé de la déchéance et adopté par sa nouvelle famille: Alice, Fernande, Colette et Evelyne. Trois générations de femmes passionnées de pêche et de voile. A leur tête, la grand mère Alice, plus connue sous le nom de Yoyo. Personnage haut en couleurs! Après avoir épousé le père de Claude Bolling et fondé l’hôtel Méditerranée à Cannes, elle divorça et vint pendant la guerre s’établir à Villefranche. A la Libération elle prit en gérance le restaurant de l’hôtel de la Darse puis plus tard celui de la Trinquette. Cette parisienne passionnée de pêche s’y connaissait en hameçons, en appâts, en boulantin. (pêche à la ligne pratiquée en Méditerranée). Dès que le service du restaurant lui laissait des loisirs elle embarquait sur le Mirabeau, le bateau d’un de ses voisins, le père Massa, pour s’adonner à son activité favorite. Mais les bateaux et leurs propriétaires naissent et meurent, aussi, Yoyo, approuva la décision de sa petite-fille de racheter Jean Marie. Colette évoque pour nous cette époque:

 » Le père Massa ayant disparu, on a eu l’occasion quelques années après, d’avoir un bateau de travail d’un pêcheur qui avait cessé son activité professionnelle mais qui possédait deux pointus qui n’étaient pas entretenus. Alors on l’a acheté toutes les trois avec ma mère et ma soeur. C’était au nom de toutes les trois parce que quand un bateau sort, le propriétaire doit toujours être à bord. Donc, moi je n’étais pas toujours présente et on avait décidé de mettre les noms des trois personnes. »

Trois femmes pour un seul bateau! Quelle chance pour Jean Marie! Par superstition et par tradition, les trois propriétaires ne débaptisèrent pas ce nouveau compagnon.

Une passion partagée: la voile

Depuis des années déjà, Colette naviguait. Elle était une des rares femmes inscrites au club – très fermé- de la voile de Villefranche. En digne héritière de la passion de sa grand mère, elle l’accompagnait en mer pour pêcher et ne ratait jamais aucune régate. Elle avait commencé la voile dès sa jeunesse, mais ne possédant pas de bateau, elle aidait à la manoeuvre sur les Belugas et autres embarcations. Adolescente, inscrite aux Beaux Arts, elle sortait, dès qu’elle le pouvait, sur le Gayaneth, un bateau de type Météore. (voilier en bois construit à Villefranche même par Mr Ricardi). Ce bateau au nom de ballet russe, (Nom du ballet créé par le compositeur Aram Khatchaturian, 1903-Tblissi,1978-Moscou) de plus de 5 mètres, appartenait alors à un ami parisien, père de trois filles. Colette se souvient:

« Avec ma soeur, quand on pouvait aller à la pêche avec le père Massa, on y allait. Mais on a surtout fait des régates sur le Gayaneth. Le bateau n’était pas à nous, il appartenait au directeur des peintures Valentine. On en avait la jouissance toute l’année car il restait à la Darse et on l’entretenait pour nos amis. On sortait avec eux, on leur avait appris à faire de la voile toute leur jeunesse. »

Un choix douloureux

Mais , ainsi va la vie, les uns se marient d’autres pas. Le Météore fut donné à Colette qui se retrouva propriétaire de deux bateaux. Elle nous raconte:

 » Le Gayaneth et Jean Marie étaient tous les deux à côté dans le port, mais moi je ne pouvais pas payer deux bateaux. Le Météore aussi partait en quenouille. Donc il fallait que je fasse un choix. Je ne pouvais pas aller à la pêche avec Gayaneth car il n’avait pas de moteur. J’avais demandé à plusieurs garçons de ma connaissance que le bateau ne devienne pas une épave, qu’il ne parte pas en poussière. J’ai cherché plusieurs personnes en proposant de payer la place du port, mais voilà, je n’ai pas trouvé. Alors, comme je ne voulais pas le voir démoli à terre, voilà ce que j’ai fait. Une nuit avec deux amis, j’ai pris le Gayaneth en remorque après lui avoir enlevé le gréement, et tout ce qui était en l’air. On a mis deux coups de barre à mine et on l’a fait couler. J’ai gardé la plaque et le safran, c’est tout. Je préférais ça que de le voir se détruire à terre. »

Une sage décision

En gardant Jean Marie, Colette avait-elle choisi la pêche plutôt que la régate? Avait-elle renoncé au plaisir de sentir la voile frissonner sous le vent? Depuis toujours,son idée était de le voiler mais elle le garda ainsi quelque temps.

« Dès que j’ai pu on a fait un mât; j’avais un copain qui faisait de la voile qui m’a aidée à le gréer. En premier on ne l’avait pas du tout gréé en latin. On l’avait gréé avec un pic et avec un foc. Et puis ça ne me plaisait pas trop, il me semblait que le bateau était fait pour marcher avec une latine (on donne généralement le nom de voiles latines à celles d’une forme triangulaire, aux voiles à tiers point, qui sont montées sur trois ralingues, telles que les focs, les voiles d’étai et autres enverguées sur des antennes. Dictionnaire de la marine de Willaumez). Bon, c’était plus dans le caractère du bateau. Mais j’ai abandonné et j’ai attendu d’être à la retraite pour le faire restaurer. J’ai fait un choix. Il me restait quelques années à travailler. Ma mère étant âgée, je ne pouvais pas entreprendre de lointains voyages. Puisque je vis au bord de la mer, je ferai de la voile et de la pêche. Je me suis dit que je ferai restaurer le bateau parce que vraiment il n’en pouvait plus! »

Une restauration réussie

Colette dut d’abord patienter quelques années avant la retraite. Elle patienta ensuite, pendant la restauration de Jean Marie qui dura un an et demi environ. En effet, en 1996, Gilbert Pasqui, charpentier de marine, accepta de restaurer la modeste embarcation. Spécialisé dans l’entretien de vieux gréements plus célèbres, il s’occupa cependant de Jean Marie. C’était selon ses dires un beau bateau, très bien construit, costaud. Pas un sabot. Pendant ces longs mois, Colette ne resta pas inactive. Il fallut tout calculer pour mettre la voile latine à ce pointu qui n’avait jamais eu de mât. Elle en calcula elle-même la dimension et veilla aux nombreux détails de cette renaissance. Elle en garde, grâce à de nombreuses photos, un souvenir très précis :

 » Gilbert me l’a complètement désossé. J’ai pris des photos dans un ordre chronologique. Il ne restait que la quille et la coque. Tout le reste a été refait, l’arrière, tous les pavois. Il m’a fait le mât, l’antenne, pour être gréé en latin. « 

La renaissance de Jean Marie prit du temps, mais sa mise à l’eau témoigna de sa réussite. On sabla le champagne comme il se doit. Colette pouvait enfin, au gré de son humeur, lancer ses boulantins ou se laisser guider par les vents de la rade.

Jours tranquilles à la Darse

Depuis lors, Jean Marie coule des jours tranquilles. Quand il n’est pas à son mouillage, on le croise dans la rade, lors d’une régate ou sur une cale de pêche. Moins souvent en été, car il n’aime pas la cohue : trop de plaisanciers. C’est un octogénaire vigoureux mais il se ménage. A son âge il a droit à une retraite paisible. Colette lui ressemble. Depuis quelques années, le temps s’écoule lentement. Tout est si familier à ses yeux : la Trinquette, l’aire de carénage, les quais, les artisans des chantiers navals et autres habitués de la darse. Pas un jour elle ne manque, au cours de ses promenades, de venir saluer le pointu. Elle est rassurée, il est à une bonne place, mais… Parfois dans la rade, la mer est indomptable. Au cours du trophée Pasqui, en mai 2006 il a fallu annuler la Régate du dimanche! Alors, si une occasion de rassemblement de voiles latines se présente – à Villefranche ou Menton -Colette défait le boute de l’anneau. Attention! Pas question de rejoindre par la route d’autres rades plus bretonnantes mais trop médiatisées!


Interview recueillie par : Michelle Icard, Jean-Michel Pastor.
Transcription : Michelle Icard.
Date de mise à jour : 15 janvier 2007

 

RETOUR

 

 


Le Zaca : ombres et lumières

Le retour du Zaca, le célèbre bateau d’Errol Flynn, à Villefranche

Juin 2005, le Zaca, bateau d’Errol Flynn, la star américaine des années 50, revient à Villefranche pour un remâtage au chantier Pasqui.

Ce bateau mythique, qui joua un rôle important dans la vie de la star, de 1946 à 1958, n’a pas toujours été sous les feux de la rampe. Depuis son lancement en 1930 jusqu’à son mouillage actuel à Monaco, son destin a croisé celui de la rade où il resta dans l’ombre quelques années. Les amoureux de la Darse se souviennent de sa silhouette pathétique abandonnée. 


Des débuts prometteurs

Goélette de 36 m de longueur hors tout, 1 350 m2 de voiles, le Zaca fut lancé à Sausalito, en Californie. La construction en 8 mois seulement d’un tel yacht de luxe, l’année suivant la grande dépression de 1929, fut un défi qui n’effraya pas Templeton Crooker, le banquier qui commissionna le bateau.

Le premier rôle du Zaca fut une expédition scientifique dans les îles Marquises. Par la suite, la goélette, équipée pour l’étude de la biologie marine, n’arrêta pas de naviguer. De 1932 à 1938 le Zaca fit le tour du monde et vint même à Marseille où Bernard Voisin, du chantier naval du même nom, le vit pour la première fois.
Pendant la seconde guerre mondiale, le navire, peint en gris bleu et équipé de mitrailleuses patrouilla dans la baie de San Francisco. Il remplit sa mission au service de l’US Navy. Finie la guerre, fini le prestige du soldat ! Démobilisé, démâté, réduit à n’être qu’une marchandise en surplus, le Zaca fut mis en vente.

Les feux de la rampe

C’est en 1946 qu’Errol Flynn, le Faucon des mers, le Capitaine Blood, en devint propriétaire. Il investit plus de 80 000 dollars dans la restauration de sa structure et de son intérieur où il installa une salle de projection. La star déclara :

« Je veux que Zaca soit un symbole de ce que je représente ».

A partir de ce moment là le destin du bateau fut lié au cinéma. Fiction ou réalité ? On raconte qu’avec le bateau Flynn aurait fait du trafic d’or et d’armes en Amérique du sud. Ce qui est certain c’est que le bateau servit de décor aux divertissements de ses nombreux amis. Au cours du tournage de La dame de Shanghaï, en 1948, Orson Welles et Rita Hayworth s’y installèrent pendant 5 semaines. C’est pendant le tournage d’un autre film La Taverne de la Nouvelle Orléans que Bernard Voisin fit la connaissance de l’acteur sur son bateau au mouillage à Monaco.

L’envers du décor

Ecoutons le témoignage de Bernard Voisin qui risque de décevoir les fans d’Errol Flynn :

« On a fait des petits travaux sur le bateau, on n’a jamais été payé. On arrivait le matin, il nous offrait du rhum Baccardi. On a tourné le film. A la scène du final Errol Flynn était bourré et je l’ ai doublé avec Micheline Presle dans les bras, qui marchait sur le quai au milieu des flammes. Une partie a été mise dans le film. J’ai vu le film au moins 20 fois et à la fin, je disais : c’est moi, c’est moi, c’est pas Flynn. Ce n’est pas tout à fait vrai, mais cela faisait bien ».

Bernard Voisin conseilla à Errol flynn de faire naviguer le Zaca malgré son état déplorable dû aux problèmes d’argent de la star. Le bateau était très abandonné; cela faisait quatre ans qu’il était pratiquement sans entretien. Il y avait beaucoup de gréements courants à changer. Grâce à un producteur de film, le bateau fut réarmé en 1951/52. Bernard Voisin réussit à le faire naviguer à l’aide d’une équipe de 15 judokas ! Il nous raconte :

« Il y avait 2 gars qui connaissaient un peu la combine, moi je la connaissais, j’avais pas mal navigué et on a fait naviguer le Zaca à ce moment là. Les quelques photos qui ont été prises du Zaca naviguant c’est avec moi que cela a été fait . On avait 15 gars à bord, on a fait une combine qu’on avait déjà utilisée sur le France pour le Hornblower. Toutes les manoeuvres étaient sur le pont : la verte, la jaune, la grise, la marron et les gars marchaient bien. On a navigué par petit temps, on a quand même mis la lice dans l’eau, un bateau qui marchait à 12/13 noeuds. On s’est vraiment fait plaisir ».

A la dérive

En 1952, Errol Flynn quitta l’Amérique et hissa les voiles pour Palma de Majorque. Là, il retrouva ses vieux copains d’Hollywood et fréquenta la jet-set. Le Zaca fut alors le théâtre des dérives de la star, non seulement le long des côtes mais surtout dans l’alcool et les casinos. En 1958 , décidé à vendre le bateau pour payer ses dettes, l’acteur mourut subitement à l’âge de 50 ans sans mener à bien la transaction.
Le Zaca abandonné dans le port commença à pourrir jusqu’en 1965 où un Anglais séduit par son passé mouvementé l’acheta. Après moult péripéties – son nouveau propriétaire le pilla, et le laissa dans un état épouvantable – le bateau fut remorqué en Méditerranée.
C’est à ce moment là qu’il croise de nouveau le destin de B. Voisin. Celui-ci, qui avait signé un contrat d’entretien et de gardiennage du bateau, s’adressa alors aux avocats de la succession de l’acteur. Non seulement pour être payé et régulariser le contrat, mais aussi pour acheter ce bateau qui le faisait rêver. La transaction dura plusieurs années et aboutit en 1967.

Bateau fantôme

Le sort du Zaca hantait Bernard Voisin :

« J’ai rêvé, j’ai fait des rêves sur ce bateau, il était à mon nom. Je rêvais de le mettre impeccable. J’ai payé les droits du port à mon nom pendant une dizaine d’années. Ensuite je l’ai fait passer au nom du chantier, il est rentré dans l’actif du chantier, au moment du dépôt de bilan. »

Du rêve à la réalité, les distances parfois sont infranchissables. Bernard Voisin dut renoncer à son projet. Abandonné, le Zaca tel un bateau fantôme, semblait hanté par le spectre d’ Errol Flynn. En 1979, deux prêtres, un anglican et un catholique procédèrent à une cérémonie d’exorcisme à la cathédrale de Monaco.
Libéré de ses démons et malgré certains travaux, le Zaca était toujours incapable de naviguer. Après avoir coulé plusieurs fois dans la rade de Villefranche il sombra dans l’oubli suite au dépôt de bilan du chantier Voisin en 1987.

Renaissance

C’est en 1990, suite au rachat du chantier Voisin par Monsieur Coussins que celui ci le vendit à son propriétaire actuel Monsieur Memmo. Ce dernier, vivant à Monaco fut ému et séduit à son tour par le destin tragique du Zaca. La restauration du bateau prit deux ans au chantier naval de Toulon puis le Zaca réapparut sous les feux de la rampe.
Enfin sorti de la tourmente, il parade aujourd’hui à Monaco. Au Yacht Club, son élégante silhouette rivalise avec d’autres vieux gréements tout aussi prestigieux.
Désormais, pour se faire une beauté, le Zaca fait escale à Villefranche au chantier de Gilbert Pasqui. Celui-ci, charpentier de marine de renommée internationale, grand amoureux et spécialiste des vieux gréements fut chargé de son remâtage.
Juin 2005, enfin prêt à affronter les rigueurs océanes le Zaca vogue à nouveau. Souhaitons lui bon vent!

Nous remercions monsieur Voisin pour toutes les informations données lors des entretiens avec les membres de l’Association.

 


 

 

 

Profession : contrebandier

Monsieur Milon, paisible retraité évoque ses souvenirs de contrebandier de cigarettes entre Tanger et l’Italie avec Villefranche comme port d’attache.

Une retraite bien méritée!

Qui l’eût cru ? Derrière ce paisible retraité breton de Saint Jean cap Ferrat, un peu essoufflé dans les escaliers, se cachait autrefois un aventurier, un professionnel de la contrebande de cigarettes sur la côte italienne.

« Je n’ai jamais travaillé en France, c’est pour ça qu’ils n’ont jamais pu me prendre ! »

Né en Bretagne en 1924, Mr Pierre Milon a quitté très tôt sa terre natale. Sans doute pour suivre les traces de son père, ce héros parti à 18 ans pour la guerre de Chine, puis aux Dardanelles, décoré de la légion d’Honneur par l’Amiral Guépratte en 14/18 et mort le 2 juin 1940 à Lézardrieux. La carrière de Pierre Milon s’accélère dès le Certificat d’études réussi à 12 ans, en 1936. En 1938 il est à l’école des Mousses à Brest. En 1939 à la déclaration de guerre, c’ est un engagé volontaire d’à peine 16 ans. Enfin à 55 ans, Pierre Milon, a pu prendre une retraite bien méritée, après 32 ans et demi de bons et loyaux services comme inscrit maritime, dont 9 ans de contrebande. Ecoutons-le :

« J’ai le titre de capitaine à la plaisance, j’ai passé le permis des 300 chevaux à Nice. Quand je suis arrivé à Monaco en 46, c’était mon premier port d’attache, j’étais marin sur un gros voilier. Je venais de faire cinq ans dans la Royale, la Marine nationale, cela m’a compté. J’étais engagé volontaire depuis le 10 octobre 39, j’avais pas 16 ans. En 1940, à 16 ans et quelques, je suis parti en Angleterre sur le cuirassé Paris. J’étais dans les forces navales françaises libres, on avait la croix de Lorraine. J’ai fait le débarquement.

La Jeanne d’Arc

Ils m’ont envoyé sur la Jeanne d’Arc et de là à Alger et d’Alger à Madagascar pendant deux ans. Une petite anecdote : à cette époque j’ai connu M. Raymond Barre, à Diego Suarez. On s’est retrouvé à Saint-Jean, on est voisins, il est venu au mariage de ma fille! En 44 j’étais quartier maître de manœuvre. Deux ans à Madagascar ça compte double. Et puis comme ça après j’ai navigué sur des bateaux de plaisance. Mais quand j’étais sur le bateau d’Edouard Empain, l’oncle de celui à qui on a coupé le doigt, ça n’a pas compté. Je suis pourtant resté deux ans avec lui. Après Monaco, j’étais sur un bateau breton qui s’appelait le Douar- Breiz. On faisait du commerce avec l’Algérie, la Tunisie et c’est là que j’ai connu Yves Poitrale qui était sur le Kenian et il me dit  » pourquoi tu viens pas avec moi ? ». Et c’est comme ça que j’ai commencé la contrebande en 1949. Quand je faisais de la contrebande j’étais sous pavillon anglais et j’ai perdu dix ans environ d’inscrit maritime à cause de ça. Maintenant dans l’Europe ça aurait été reconnu mais là, ça n’a pas compté ! »

Le bon vieux temps des zones franches

Monsieur Milon évoque pour nous les années d’après guerre, 1948-1950 où la contrebande était presque légalisée !

« A cette époque-là, la contrebande était organisée parce que certaines villes comme Marseille étaient zones franches et on pouvait donc charger. Mais nous n’avons jamais chargé à Marseille, on allait à Tanger et on chargeait des cigarettes avec la Douane. A l’époque on avait les papiers en règle quand on embarquait à Tanger. Là où on n’était plus en règle c’est quand on sortait des eaux internationales et qu’on commençait à distribuer à Gênes, à San Remo, à Naples, un peu partout. Moi je partais de Villefranche et j’allais à 30 milles pour trouver mon ami qui venait avec un gros bateau de Tanger. »

Je faisais Villefranche, le bateau, San Remo ou bien Gênes, on allait un peu partout. J’ai commencé la contrebande quand il y avait Henri Hell, Alési, Cadillac. Je me rappelle, les capitaines, nous avions rendez-vous à l’hôtel Cécile à Tanger. Je n’ai pas fait longtemps Tanger parce qu’après ils m’ont catalogué pour faire la terre parce que je connaissais bien le coin. De Tanger jusqu’ici à Villefranche, on mettait 8-10 jours, cela dépendait. Quand on avait les papiers, on nous disait d’aller à San Remo pour décharger 300 caisses, après on allait au large de Porto Fino ; entre Gênes et Porto Fino, il y avait un endroit facile pour débarquer. On allait à Savone, au ponton où venaient les pétroliers. »

Du sur mesure : des navires à toute épreuve

Mr. Milon se souvient des différents bateaux sur lesquels il a travaillé. Soit des grosses unités qui allaient jusqu’à Tanger, soit des P.T.boat (Patrol Torpedo) puissants pour faire les côtes. Il avait commencé sur le White Shadow, qui s’appela plus tard le Grégaly.

« C’était un voilier avec moteur, deux hélices, de 32 mètres de long. D’autres fois on avait des bateaux à trois moteurs, 3200 chevaux. Le chantier naval Voisin avait installé exprès des plaques de blindage épaisses, derrière notre dos, dans la passerelle. Un compas était fixé par terre et un autre en haut. Les mécaniciens avaient des casques, les commandes à l’intérieur du moteur et moi quand j’appuyais sur les boutons pour les moteurs, ils voyaient la lumière. Ils avaient des manettes au plafond.

Quand j’avais le P.T.boat, j’avais deux mécaniciens à bord. C’était des bateaux qui faisaient sept mètres de large et qui étaient très rapides. C’était des engins terribles : 12 cylindres en V, des moteurs Packard 1200 chevaux chacun. Quand je démarrais, je démarrais sec, fallait pas rester derrière, ça faisait des vagues! Il y avait trois hélices.
Pour le carburant on faisait le plein à Antibes, évidemment on fait le plein de 100 octanes, on avait un accord avec Shell, entre parenthèses, les douaniers n’avaient droit qu’à la 80 octanes! J’avais parfois 10 000 litres d’essence à bord ! Je faisais 200 litres à l’heure par moteur, 600 litres à l’heure et de Villefranche, je mettais 2h 45 juste, par beau temps pour arriver à la Giraglia (en Corse) ».

Les risques du métier : sous les feux des mitraillettes

La carrière de contrebandier de Pierre Milon nous rappelle parfois l’ambiance d’un film des années 60. A cette époque, Eddie Constantine chantait « Cigarettes, whisky et p’tites pépées » et les méchants garçons avec leur petite gueule de voyou séduisaient. Question violence, juste quelques cadavres après la bataille, mais rien à voir avec l’étalage d’hémoglobine sur nos écrans d’aujourd’hui. Cependant Mr. Milon n’est pas près d’oublier Savone :

 » Oh! malheur! Une fois je pars de Villefranche et puis j’embarque des cigarettes au large avec le P.T. boat. On en met beaucoup sur le pont et la plaque de blindage que Voisin nous avait faite. En arrivant à Savone on me dit d’aller sur le troisième ponton. Je vois les lumières et je me dis que je pouvais approcher. Il faisait nuit noire et je me dis bon, j’accoste. Je me rappelle encore, le ponton était à droite et oh malheur ! Des projecteurs, en plein sur nous les projecteurs !

Les mécaniciens étaient montés sur le pont, ils se sont jetés dans les machines, dans les moteurs et j’ai dit « en arrière, toutes ». On a mis arrière toutes et je suis passé, à 40 noeuds, je sais pas comment, dans les lamparos, je sais pas si j’en ai pas coulé un. Et puis les douaniers ont commencé à tirer. Ils avaient deux vedettes et tiraient à la mitrailleuse et au canon de 20. Mais on avait tellement d’épaisseur de cigarettes sur le pont, parées à débarquer que c’est entré à travers les caisses! Heureusement après Capo Mele, les douaniers se sont dit que le bateau allait trop vite et ils nous ont lâchés peu après.

Et puis après je suis parti dans les eaux internationales et puis on a redistribué les cigarettes aux bateaux qu’il y avait au large. Ces bateaux là ils restaient parfois 52 jours en mer sans pouvoir débarquer parce que la nuit où c’était bon, c’était les camions qui s’étaient fait prendre, ou alors autre chose, on avait été signalés. D’ailleurs il y avait un chalutier de Nice qui s’appelait le Lutin, avec Goujelet qui distribuait de la nourriture et des affaires à bord parce qu’il était dans le coup lui aussi. Ce jour-là à Savone, j’ai béni Bernard Voisin de nous avoir mis une plaque de blindage et le compas par terre. J’ai manœuvré à genoux »

Parfois le chargement était perdu, il fallait jeter les caisses à l’eau. C’était la consigne des patrons :

« Une fois devant le cap d’Antibes j’ai jeté un lot, je ne me rappelle plus, 200 caisses, et tous les plaisanciers, car c’était en été, les ramassaient. Comme ça on filait et les douaniers ne nous disaient rien ».

Le jeu du chat et de la souris

Mais que fait la police ? Rien qu’à Villefranche il y avait au moins huit douaniers ! Que font les Carabinieri plus précisément ? C’est la question que le lecteur est en droit de se poser. Qui poursuit qui ? Dans ce jeu de cache cache, les représentants de l’ordre sont parfois complices ou font piètre figure. Mr. Milon nous raconte:

 » Une fois nous étions avec Yves Poitrale en direction de Naples. On arrive devant Naples et puis il y a un hydravion de la Douane qui vient nous repérer. A force de faire des rase mottes… plouf ! il capote devant nous ! Alors Yves il nous dit « on les récupère ou pas ? » Alors j’ai dit oui, on va les récupérer quand même. Ils étaient deux douaniers à bord et ils nous ont donné un coup de main pour débarquer les cigarettes. On les a gardés jusqu’à Tanger et on les a débarqués là-bas. Ca c’était encore un coup ! »

La discrétion est censée être la vertu des contrebandiers, pourtant la tentation de pousser la « canzonetta » est trop forte pour les Italiens. Mr. Milon se souvient:

« Un jour j’avais à peu près embarqué 600 ou 700 caisses de cigarettes et mes patrons m’ont dit d’aller jusqu’à Tarente. J’avais des Italiens avec moi et vous savez comment sont les Italiens ! Malheur ! On rentre dans le port de Tarente, ils chantaient, ils criaient tous ! Ils me disent qu’il faut rentrer dans le port carrément, alors je rentre et je me mets derrière un bateau de guerre italien et en chantant on a débarqué toutes les cigarettes ! J’ai jamais compris pourquoi! »

Dramatique naufrage

Mr. Milon n’oubliera jamais ce naufrage qui lui valut cinq colonnes à la Une du quotidien régional et lui donna son heure de gloire. C’est avec une certaine fierté qu’il montre à tous les visiteurs le sous-verre de l’article accroché dans son salon. Ecoutons le nous raconter les détails de cette odyssée dramatique.

« En 51 j’ai fait naufrage avec un bateau qu’on avait acheté chez Voisin, une vedette qui s’appelait le Zelma. On avait un bateau en panne à Antibes et alors avec mon patron qui s’appelait M. Paul on était venu en vitesse en se disant que Voisin devait avoir ça. Il nous donne une vedette de 14 mètres, avec un moteur de 650 chevaux à essence, mais avec un seul moteur. On embarque tellement vite qu’il n’y avait à bord que 2 brassières de sauvetage. Pas un orin à bord, pas une ancre flottante, on avait juste une radio que Voisin avait récupérée chez les Américains, ces grandes radios vertes. A l’époque je faisais bateau-terre et alors je vais au large et je rencontre mon copain breton. Il me dit qu’il y a 1000 caisses à faire pour aller à San Remo. On était sous la caserne des carabiniers à San Remo et il fallait débarquer de nuit. Heureusement, le capitaine de la Douane était dans le coup et envoyait les vedettes de Gênes ailleurs ! Donc je commence à embarquer 370 caisses sur cette vedette et puis le copain il me dit « attention à la météo Pierrot, le mauvais temps se lève ». Moi j’avais embarqué à peu près à 25 milles au large. On se mettait à couple, il y avait des gros pneus et on débarquait le nombre de caisses qu’il fallait. On était trois à bord et on attendait qu’il fasse nuit noire. On travaillait avec la nouvelle lune et puis d’un coup le mauvais temps se lève et je commence à recevoir de l’eau sur le pont. Le mistral se lève alors que je revenais vers la terre. Au bout d’un moment, je reçois une déferlante en plein dans le cockpit moteur, là où se trouvait le moteur et j’avais 600 000 litres d’essence à bord ! On commence à vider, ça rentrait au fur et à mesure. On pouvait pas aller dans les cabines parce que c’était rempli de cigarettes et surtout dans les waters. Il fallait débarrasser tout car ils étaient ouverts et cela faisait siphon. L’eau montait, montait, montait. Petit à petit à 10-11 heures du soir on avait de l’eau à moitié. Et puis à minuit, on avait le pont dans l’eau. A ce moment là on voit un bateau qui arrive et on se dit qu’on est sauvés. C’était un gros cargo, on commence à lui faire des signes. Avec le câble de la radio on a amarré une petite couverture à laquelle on a mis feu avec de l’essence et des allumettes. On a hissé la couverture et on a crié mais le bateau est passé sans rien faire ! On avait toujours les caisses de cigarettes. On en avait jeté quelques unes, celles du pont, du salon, mais petit à petit le bateau a coulé. Les deux autres ont pris chacun une brassière et moi j’ai pris le panneau de la machine. Le bateau est resté entre deux eaux, il montait, il descendait. Nous avons été sauvés par les cigarettes. Nous avons attendu, la mer était toujours mauvaise, on était le 27 février. L’eau était si froide que j’ai eu un rein congestionné et on a dû me l’enlever. J’avais perdu mon caban et tout ce que j’avais. »

Trois petits points sur l’eau

« Vers neuf dix heures du matin, qu’est ce qu’on voit arriver ? Deux destroyers anglais qui venaient de Golfe Juan et qui faisaient des exercices en mer. Je ne sais pas comment ils nous ont vus car on faisait trois petits points sur l’eau. C’était un coup du hasard parce que l’officier qui parlait français à bord nous a dit qu’on avait eu de la chance d’avoir été repérés au radar. Puis ils ont mis une baleinière à l’eau, ils nous ont récupérés et nous ont donné des vêtements chauds et des … cigarettes anglaises ! Quant à celles de la Zelma qui étaient là tout autour, les marins ont commencé à se mettre à plat ventre et à prendre des seaux pour récupérer les milliers de cartouches. Les cigarettes n’étaient pas mouillées, elles étaient bien étanches! Un officier canadien qui parlait bien français m’avait demandé combien nous avions d’essence à bord et alors ils ont fait un exercice de tir sur la vedette. Sur Nice-Matin ils ont marqué « coulé à coups de canon », mais ce n’est pas vrai ; ils ont envoyé un obus incendiaire en plein dedans et ils nous ont ramenés à Golfe Juan. »

Par ici la sortie!

Le témoignage amène et truffé d’anecdotes « professionnelles » de Mr. Milon fait oublier au lecteur l’aspect illégal de la contrebande. Il semble qu’à cette époque certains responsables de l’administration des Douanes, fermaient les yeux. Mr. Milon aura passé en tout et pour tout une nuit en prison. Voici la suite et fin de son récit:

« Quand j’ai été pris après le naufrage, ils m’ont mis en prison une nuit. A Golfe Juan ils sont venus nous chercher en traction pour nous emmener à Gioffredo, à la police à Nice. Moi j’ai dit au type qui nous a mis tous les trois en cellule que j’avais rien à voir avec la police mais avec la Douane. Je lui ai demandé de téléphoner au chef de la répression des fraudes qui était installé dans un hôtel du boulevard Victor Hugo. C’était un breton comme moi et je le connaissais bien. Finalement ils ont téléphoné et ils sont venus nous chercher. Ils nous ont embarqués et amenés boulevard Victor Hugo. Là le chef m’a dit « bon, maintenant on n’en parle plus; vous étiez dans les eaux internationales, on n’a rien à vous dire ! Tous les photographes et les journalistes vous attendent à la sortie, alors vous allez passer par tel endroit ». On est sortis et quelques jours après j’ai repris la navigation sur un caboteur français, le Douarbreiz, qui ne faisait pas de contrebande. On faisait la Corse et une fois en revenant d’Ajaccio j’ai eu une douleur telle qu’ils m’ont envoyé à l’hôpital Saint Roch. C’est là qu’ils se sont aperçus que j’avais un rein qui ne fonctionnait plus depuis mon naufrage et qu’ils m’ont opéré. »

Rivalités entre bandes

Villefranche, dans les années 50/60 était selon l’expression de Mr. Milon « le port de la fumée ». La contrebande rapportait gros : un dollar par caisse. Les bateaux des contrebandiers occupaient la largeur de la digue de la Darse. Il y avait plusieurs « patrons » qui se connaissaient et faisaient contrebande de cigarettes ou de bas nylon. Le patron de Mr. Milon était Henri Hell, un ancien instituteur !

« Villefranche et Antibes servaient de base. Les P.T. boats accostaient à Antibes pour la distribution en France. Moi, mon patron, le grand patron, je ne l’ai vu qu’une fois. C’était Monsieur B. des tissus B. du même nom, il avait un magasin sur l’Avenue de la Victoire (de nos jours Jean Médecin). J’ai bien connu une femme qui faisait de la contrebande, Mme Houillon, son bateau s’appelait le Porc-épine avec une cheminée qui marchait encore au charbon. C’était une sacrée bonne femme ! Elle venait à Tanger charger des cigarettes. Une fois j’étais là-bas sans le sou, on n’avait pas été payé, on n’avait plus d’argent pour bouffer et heureusement je reconnais Mme Houillon. Elle nous dit qu’elle est d’accord pour nous rapatrier en France mais qu’elle nous bouclera dans une cabine pour que l’on voit pas l’endroit où l’on débarque. On a mis 5-6 jours pour arriver. Moi je regardais à travers le hublot et j’avais reconnu l’éclat du grand phare de Marseille : deux éclats, trois éclats, je comptais dans ma tête. Quand on est arrivés à Antibes j’ai dit à la mère Houillon que je savais où on avait débarqué!(rire) »

Mr Milon a connu lui aussi les risques du métier mais souvent la chance lui a souri.

« Une autre fois, à Villefranche, un soir on était tous allés au cinéma et on avait la Patoche au bassin de radoub. C’était le même bateau que le Commandant Cousteau. On va tous au cinéma, pas un qui reste. Quand on revient il y avait un trou comme ça dans la coque. Ils avaient mis une bombe sur un tin (tin: pièce de bois qui supporte la quille d’un navire] et heureusement ça avait fait un gros trou dans la coque seulement. C’était des contrebandiers rivaux ».

Avec la bénédiction de l’Eglise

Mr. Milon se souvient avec émotion de son grand ami, l’abbé Numa Gilli, prêtre ouvrier au chantier naval de 1947 à 1950. Le vicaire de la paroisse de Villefranche avait d’ailleurs un petit bateau qui s’appelait …le Lutin. Ce prêtre inclassable, aimé et controversé tout à la fois, a fait couler beaucoup d’encre. Des pétitions – pour et contre lui – circulèrent. Il faut dire que parmi ses ouailles figuraient les « filles de joie » des bars américains de  la rue du Poilu sans oublier les contrebandiers. Une sorte de Don Camillo qui fut « exilé » par l’évêque, Monseigneur Terrancle, à Cagnes-sur-mer !

« Moi, j’ai connu l’abbé Numa en 48 au chantier Voisin. Il avait eu des problèmes avec Rome parce qu’à l’époque un prêtre ouvrier c’était pas bien vu. Un jour au chantier je vois un type très maigre qui faisait la coque, qui peignait, qui faisait le carénage et alors on s’est fait ami. Ce type il avait des mains d’or. Il était tellement humain qu’on l’a fait partir. Après il est revenu à Saint-Jean où il est resté trente ans. Une fois il m’a fait aller à la chapelle Saint-Hospice pour que je raconte mon naufrage aux gens venus en pélerinage ! Je me rappelle quand je me suis marié, c’était à Villefranche en 1956. Il n’y avait pas beaucoup de monde, on était peut être une dizaine et Numa a dit : « je vois que nous sommes en famille ». C’était vraiment un grand ami. En plus il connaissait quelqu’un de haut placé au Vatican, un cardinal et c’était bien utile quand on était pris en Italie. Quand il y avait des gars qui étaient pris ils faisaient trois ans normalement sauf quand Numa les faisait sortir avant. Moi j’ai jamais été pris, mais au début quand je me suis marié, j’étais sur l’Antonia Maria qui appartenait à Monsieur Paul Paoli, mon patron. J’ai dû partir à Malte et je ne disais pas à ma femme que c’était de la contrebande, mais Numa il le savait lui! Et alors en juillet 56 quand ma fille est née et que j’étais pas là, j’ai envoyé un télégramme. Numa est venu voir ma femme pour lui donner de l’argent parce qu’elle n’avait plus le sou. Il lui a dit de ne pas s’inquiéter et lui a expliqué ce que je faisais ! D’ailleurs Monsieur Paul mon patron il donnait beaucoup d’argent à Numa qui acceptait pour les oeuvres de la paroisse. Oh la la qu’est ce qu’il a donné ! »

Interview recueillie par : Jo Masnata, Colette Dory, Jean-Luc Belugou, Michelle Icard.
Transcription par : Michelle Icard.
Date de mise à jour : 12 juin 2006

 

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D’un bout* à l’autre de la Méditerranée

L’ASPMV a noué des liens avec l’Escola del Mar de Badalona (Catalogne)

*Prononcé en faisant sonner le t, le mot « bout » est synonyme de cordage. L’usage veut que sur un bateau on n’emploie le mot corde que pour désigner celle de la cloche ou celle d’un pendu. Il convient de préciser, d’autre part, que sur un navire les cordages sont si nombreux et si spécifiques, qu’ils portent tous un nom précis : drisse, écoute, câble d’amarrage, bouline etc…

Festa del Mar de Badalona, 10 juin 2007

Les recherches de l’ASPMV sur la corderie et les cordages ont intéressé l’Escola del mar de Badalona (http://www.badalona.cat/aj-badalona/medi-ambient/ca/escola-mar.html), qui à l’occasion de ses 20 ans a invité l’Association.

On aperçoit sur la photo ci-dessus, Mme Maïte Arqué i Ferrer, Mairesse de Badalona, arborant fièrement le toupin, cône de bois rainuré que l’on place entre les fils pour le commettage (cf. l’Art de la Corderie Perfectionné de Duhamel du Monceau – ed. Connaissance et Mémoires Européennes) qui lui a permis de réaliser une aussière, cordage commis une seule fois et composé de 3 ou 4 torons (cf. Dictionnaire de Marine Willaumez – ed. Le Chasse Marée) de manière traditionnelle avec la complicité de Madame l’Adjointe à l’Environnement de la ville. Elles furent initiées dans cette tâche par Jean Michel Pastor animateur (à gauche de la photo) et Dominique Tailliez, président de l’ASPMV.


Du radeau au catamaran

Pas de bateau sans cordages; naviguer eût été impossible sans eux. Du radeau fait de troncs assemblés par des lianes, aux embarcations plus évoluées nécessitant un lest et une cargaison stables, sans oublier les catamarans modernes, les cordages constituent un des éléments essentiels de la solidité et stabilité des navires. Ils évoluent en fonction du développement de la navigation à voile. Pendant les manoeuvres, ils servent à larguer les amarres, tenir les mâts, retenir l’ancre etc… C’est pourquoi depuis des millénaires, sur terre ou sur mer, du nord au sud et d’est en ouest, les hommes ont fait preuve d’ingéniosité et perfectionné les lianes en utilisant les fibres de l’agave, de l’alfa, du chanvre, du cocotier, du lin, du palmier et autres plantes.


De nos jours les cordages sont en fibres synthétiques, les cordiers et leur savoir faire ainsi que les manufactures, ont disparu. En France, dans les meilleurs des cas, par exemple à Rochefort-sur-Mer, les bâtiments restaurés des anciennes corderies abritent un musée. A Villefranche, des laboratoires de l’Université Pierre et Marie Curie sont installés dans l’ancienne corderie. Rares sont les passants qui, longeant les 165 mètres (100 brasses françaises) de façade, connaissent la destination première de cet édifice rectangulaire situé sur le port de la Darse. La construction de cette corderie date de la fin du 18° siècle. A cette époque il semble que Villefranche, Port Royal de Piémont-Sardaigne, se fournissait en chanvre dans la région de Carmagnola (http://www.museipertutti.it/dettaglio-museo.aspx?id=38), au Piémont. Aussi l’Association a-t-elle décidé de faire revivre ces techniques ancestrales reléguées dans les vitrines de trop rares musées. La transmission de ce patrimoine lui a permis de nouer des liens, au delà des frontières terrestres et de rabouter les hommes soucieux de transmettre ces savoir-faire qui témoignent de l’inventivité humaine.

L’atelier corderie

Parmi les animations proposées par l’ASPMV, l’atelier corderie est celui qui remporte le plus de succès auprès du public. Les plus jeunes sont contents d’actionner la machine et de repartir avec un bout d’ aussière qu’ils ont eux-mêmes fabriquée. Quant aux adultes, ils s’émerveillent devant cette technique si simple mais si astucieuse qui grâce au toupin permet d’obtenir des cordages sur mesure. En français, espagnol ou catalan le public est séduit.



L’époque dorée de la corderie à Badalona.

A Badalona, depuis le 18° siècle, le métier de cordier était une activité liée à la pêche. Au début, les pêcheurs et leurs familles fabriquent leur propre matériel mais au fur et à mesure que la pêche se développe, le besoin en cordages augmente et conduit à une spécialisation du métier. Cette activité qui démarre de façon artisanale va se moderniser peu à peu et introduire des machines. Il s’en suivra une importante activité manufacturière qui contribuera à l’ expansion et à l’essor économique de la ville. Le besoin d’espace pour traiter le chanvre était tel que, les cours des premières corderies avaient la longueur d’un pâté de maisons. On peut constater sur la photo ci-dessous le nombre élevé de personnes nécessaires à la fabrication d’un cordage. Les dimensions de la cour donnent une idée de la taille des bâtiments eux-mêmes.

Lorsque la corderie devient une activité manufacturière, le volume de la production augmente et les corderies s’installent souvent aux alentours des villes. A Badalona, la grande tradition de la corderie culmine avec l’installation d’établissements étroitement liés à l’histoire de la ville comme les corderies Domenech, Ribo ou Joan Font. La qualité des cordes faites à Badalona était telle que la corderie Ribo devint le fournisseur officiel de la Marine espagnole. La publicité des établissements Domenech, (photo ci dessous), précise qu’ils fabriquent pour la pêche : tous types de fils, de filets, faits à la main, catalans, palangres, lusins, sartis. La partie de droite vante les produits destinés à la marine ou à l’industrie tels que : bitords goudronnés, lusins, cordages divers, fils pour coudre des sacs, fils en pelotes, etc…


Séquence nostalgie

Cette activité économique disparaîtra peu à peu de la cité. Aujourd’hui l’établissement Ribo affiche toujours fièrement les attributs de la corderie et les vestiges d’une gloire oubliée.



En 1990, la dernière corderie, Joan Font, ferma ses portes. De nombreux habitants de Badalona s’en souviennent encore. Grand-père, père, oncle y avaient appris le métier. Aussi, le 10 juin 2007, devant le stand de l’ASPMV sur les Ramblas, malgré la barrière de la langue, une aussière de 20 mètres de long fut-elle fabriquée, comme au tout premier temps, en commettant (tordant) les fils de caret (nom du fil fait avec des fibres de chanvre qui sert à fabriquer tous les cordages). Les plus curieux des passants purent ainsi revivre une page de leur histoire et découvrir la richesse d’un patrimoine à préserver. Cette préservation est une des ambitions de la direction de l’Escola del mar qui songe à un musée de la corderie grâce à une donation de matériel des établissements Joan Font.

Puisse ce projet être soutenu par l’Ajuntament, la Generalitat et autres Institutions. En deçà ou au delà des Pyrénées, il est une vérité bonne à dire: une volonté politique est nécessaire pour délier les cordons de la bourse.

L’escale de Méditerranée à Villefranche

Correspondance des ports Toulon, 18 février 1896

L’escadre active a quitté le Golfe Juan le lundi 10 pour Villefranche, laissant à Cannes le Vautour à l’occasion de la bataille des fleurs dans cette ville. Le 12, le Vautour ramenant la musique de l’amiral et une délégation d’officiers de l’escadre a rallié le mouillage de Villefranche. Aux fêtes de Cannes, l’escadre était représentée par un char symbolique d’un très bel effet. M. l’enseigne de vaisseau Rigal, aide-de-camp de l’amiral Gervais, faisait partie du Comité d’organisation.

A Villefranche, dimanche, les officiers de l’escadre et les amiraux ont offert à bord du Formidable une matinée dansante à laquelle assistaient toutes les notabilités du département et les officiers des garnisons voisines. Cette fête a été de tous points réussie. Leurs Altesses le prince Albert et la princesse Alice de Monaco honoraient cette belle fête de leur présence.

(Le Yacht, n° 937, 22 février 1896, p. 93) ——-

Villefranche, 28 mars 1896

L’escadre active de la Méditerranée occidentale et du Levant vient de faire sur notre rade un assez long séjour. Elle nous a quitté pour rentrer à Toulon. Le yacht Stanita que vient d’acquérir le Grand Duc Georges de Russie, et le croiseur anglais Cambrian s’y trouvaient en même temps, ce dernier à cause de la présence de la Reine d’Angleterre sur notre littoral. L’amiral Gervais a offert sur rade de Villefranche une fête vénitienne superbe, quelque chose de vraiment féerique qui avait attiré sur la côte toute la population des environs. Le Cambrian a pris part en illuminant et en allumant ses projecteurs.

Après le départ de l’escadre active, départ que tout le monde ici a vu avec regret, tant l’amiral et ses officiers avaient su se concilier les sympathies de la population, nous n’avons pas tardé à recevoir une autre visite également bien accueillie ; celle de l’Ecole supérieure de guerre navale comprenant les trois grands croiseurs CharnerLatouche-Tréville et Suchet, sous le commandement du contre-amiral Fournier. Elle a mouillé sur rade le 24 à 4h30 du soir. L’amiral est allé saluer le Prince de Monaco qui lui a rendu sa visite à bord du Charner le 26 dans l’après-midi.

Nous avons vu aussi en relâche par suite de mauvais temps la canonnière-cuirassée Achéron avec les torpilleurs 65 et 190, tous trois venant de Monaco où ils avaient assisté aux régates du 22 au 25 courant, et se rendant à Toulon.

Enfin le 26, dans l’après-midi, une corvette à batterie portant pavillon autrichien mouillait sur rade, venant de Messine, et saluait du canon la marque distinctive du contre-amiral Fournier flottant à bord du Charner. Celui-ci rendait le salut et l’échange des visites réglementaires avait lieu. Ce bâtiment autrichien n’était autre que le Donau, école d’application des Cadets. C’est un bâtiment à hélices, mâté en trois mâts, mis à l’eau à une date assez ancienne, 1874 et, depuis, transformé à ce point, en 1892, qu’on en a fait un bâtiment absolument neuf. Il a pour dimensions : longueur 72 m ; déplacement environ 3000 tonnes. Sa machine de 1800 chevaux lui imprime une vitesse de 12 nœuds.

L’artillerie comprend dix canons de 15 mm Krupp dans la batterie et un sous la teugue, pouvant tirer par deux sabords l’un à tribord, l’autre à bâbord : c’est une disposition assez fréquente sur les bâtiments autrichiens. Il y a en outre un canon de 7m/m Uchatius et plusieurs mitrailleuses.

Le Donau est remarquable par sa belle tenue, comme tous ceux de la Marine autrichienne.  (Le Yacht, n° 943, 4 avril 1896, p. 165)

Villefranche, 6 avril 1896

La présence sur le littoral de nombreux souverains étrangers ou personnages de distinction attire chaque jour dans nos eaux de nouveaux bâtiments de guerre. Je vous signalais dans ma lettre du 28 le Cambrian croiseur anglais et le bâtiment école Donau. Le même jour l’arrivée du croiseur russe Rynda était annoncée et, dans l’après-midi, après avoir passé devant Nice, ce bâtiment qui vient de Gibraltar mouillait dans notre jolie baie. Puis saluts d’usage étaient envoyés et visites échangées avec les bâtiments présents sur rade.

Quelques mots de la Rynda : c’est un des bâtiments qui accompagnaient à Toulon l’Amiral Avellan, lors de la mémorable visite de la flotte russe en 1893. Ce croiseur, commandé par M. le capitaine de premier rang Rimski-Korsakoff et monté par 326 hommes d’équipage est armé de 10 canons en barbette, du calibre 15 mm et d’autant de canons Hotchkiss. Il file 15 nœuds et possède une élégante mâture de trois mâts.

Le 30 mars au matin, il y avait donc sur rade les trois croiseurs de l’amiral Fournier, le Rynda, le Donau et le Cambrian, quand l’impératrice douairière de Russie est arrivée incognito à Villefranche avec sa suite. Vers 11 heures Sa Majesté s’est rendue à bord de la Rynda où l’avait précédée le grand duc Alexis, amiralissime de la flotte russe. Le drapeau impérial a été hissé au grand mât pendant l’heure que l’Impératrice a passé à bord. A son départ à midi pour retourner à bord du yacht de son fils, le Zarnitza, les honneurs ont été rendus par les bâtiments sur rade..

L’Amiral Fournier commandant la division de l’Ecole de guerre navale s’est rendu à bord du yacht pour faire visite à l’Impératrice qui à son tour a visité le mercredi le croiseur-amiral, l’Amiral-Charner.

Dans la journée du lendemain, deux nouveaux bâtiments sont venus s’ajouter à ceux déjà sur rade : d’abord le croiseur anglais Hawke, battant pavillon de l’amiral Culme Seymour commandant en chef de l’escadre anglaise en Méditerranée. Le Hawke vient de Malte pour remplacer le Cambrian et restera dans nos eaux pendant tout le temps du séjour de la reine Victoria à Nice.

Ce croiseur, de construction récente, est fort admiré et mérite une mention spéciale. Il a 110 mètres de long, 18 de large, 7350 tonnes de déplacement et une vitesse de 21 nœuds, dit-on. Comme armement, il a un canon de 23 mm dans l’axe à l’avant et un semblable à l’arrière ; sur les côtés, dix canons de 15 mm à tir rapide ; enfin un peu partout dix-huit canons à tir rapide, des calibres 57 mm et au-dessous. Il n’a pas de cuirasse verticale, mais seulement un pont cuirassé de profil trapézoïdal atteignant jusqu’à 15 cm d’épaisseur aux parties inclinées. Son armement, quoique puissant, n’a rien d’excessif étant donné ses dimensions. Il est inférieur à celui du Tage qui atteint à peu près les mêmes dimensions dans notre marine.

On ne pouvait manquer d’établir la comparaison avec nos croiseurs présents. Le Charner, par exemple, s’il est inférieur par le nombre des bouches à feu, l’emporte de beaucoup sous le rapport de la protection tant de la coque que de l’artillerie ; il aurait toutes les chances de triompher du Hawke si celui-ci consentait à accepter un combat que sa vitesse supérieure le mettrait généralement à même de refuser où d’accepter, à son choix. Telle est l’opinion que j’ai entendue émettre par plusieurs de nos marins les jours derniers.

Vendredi matin à 6h25, le Cambrian a quitté Villefranche et a fait route pour Malte.

J’allais oublier parmi les bâtiments sur rade l’Ecole d’application des aspirants, l’Iphigénie, commandé par le capitaine de vaisseau Caillard et qui est le 2ème bâtiment dont je signalais l’arrivée plus haut.  (Le Yacht, n° 944, 11 avril 1896, p. 178)

 

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Lettres de l’enseigne de vaisseau Félix Tailliez à ses parents

Lettres écrites en 1896 relatant son escale à Villefranche avec l’escadre de la Méditerranée.

Rade de Villefranche, le 5 Avril 1896

Chers parents,

Nous avons quitté le Golfe Juan et Cannes pour un pays plus joli : Villefranche et Nice. Avant d’arriver ici, nous sommes passés tout près de la jetée promenade des Anglais. Tout le monde avait les yeux sur nous. Nous avons vu l’immense cotre du prince de Galles, avec les similaires Ailsa et Satanita. Le coup d’oeil était splendide. A Villefranche nous avons rencontré l’escadre de guerre, une frégate école autrichienne, un bâtiment russe, un croiseur anglais, un yacht de l’Amirauté anglaise et le yacht de l’impératrice douairière de Russie. Nous avons salué l’Amiral Fournier de 13 coups de canon, l’Amiral anglais de 49 coups. Il y a continuellement échanges de visites officielles, aussi la rade est-elle très animée. Elle est d’ailleurs très petite et les bâtiments sont mouillés tout près de la terre……. Villefranche est à quelques minutes de Nice en chemin de fer (0,30 F aller retour en 1ère classe). Jeudi, je suis allé à Nice. En descendant de la gare, j’ai pris le tramway jusqu’au bout de l’avenue de la gare. Le casino municipal et la place qui est en face sont bien jolis ; d’ailleurs Nice a tout à fait l’air grande ville et possède de très beaux magasins. Comme à Cannes, il y a beaucoup d’Anglais. Après avoir parcouru la promenade des Anglais, je suis allé à la jetée promenade où l’on donnait un concert religieux. Depuis longtemps je n’avais entendu de la musique comme celle-là.

Ajaccio, le 12 Avril 1896

Chers parents, Un peu avant que nous quittions la rade de Villefranche, l’Impératrice de Russie est partie sur son yacht Stanitza. Les équipages de tous les navires de guerre présents sur rade étaient en grande tenue, rangés sur les vergues ou sur le pont. A un signal de l’Amiral Charner, tous les saluts ont été envoyés à la fois, la rade était pleine de fumée. Le Standart est passé lentement à l’arrière du croiseur russe Rynda puis entre le croiseur anglais Hawke et nous. L’impératrice ne s’est pas retournée du côté des Anglais ; elle était sur la passerelle, vêtue très simplement en noir; elle n’a pas cessé de sourire en passant près de nous, répondant très gracieusement aux saluts des officiers et du Commandant. Nous étions tous en aiguillette et la dunette de l’Iphigénie devait faire beaucoup d’effet.


….Nous avons appareillé quelques minutes après le Standart, faisant route comme lui sur Menton. Nous avons longé la côte, favorisés par un temps superbe : j’ai revu, de la mer, le rocher de Monaco et le casino de Monte-Carlo. Quel joli coup d’oeil. A Menton, nous sommes restés mouillés une heure seulement, afin de déposer à terre la famille du Commandant qui avait tenu à faire avec nous cette jolie promenade. Nous avons un aperçu général sur la ville avec un élégant clocher rose ; la frontière italienne est tout près, marquée par le pont Saint-Louis : au delà, on aperçoit les villes de Vintimille et de San Remo.

Un concert à la jetée – promenade

Jetée-Promenade.

 

Le deuxième grand concert spirituel, par l’orchestre de la Jetée-Promenade, composé de 60 musiciens, avec le concours de M. Léon Lemaître, violoniste, a lieu aujourd’hui à 3 heures.

Au programme : le Sommeil de Jésus, prélude de la Nativité, d’Henri Maréchal ; Saül, ouverture pour la tragédie biblique d’Alfieri, par Bazzini ; la Cinquième Symphonie, de Mendelssohn (la Réformation), avec choral et final ; le prélude du premier acte de Lohengrin, œuvre mystique bien à sa place ici ; le premier Concerto de Vieux temps, par le violoniste Léon Lemaître ; la suite des Sept paroles du Christ, de Haydn, œuvre considérable qui sera terminée au concert du Vendredi Saint. Les entrées de faveur sont suspendues pour ces concerts spirituels, qui réunissent les principales œuvres mystiques de toutes les écoles.

(Le petit Niçois, 2 avril 1896)